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« Du rapprochement avec Cuba à l’accord de Vienne avec l’Iran : la nouvelle stratégie américaine dans le monde depuis 2014 »
Introduction
Les Etats-Unis sont de nos jours la seule hyperpuissance mondiale, reposant sur la maîtrise du hard et du soft power, et désormais du smart power. La politique étrangère constitue un déterminant clé pour comprendre l’hégémonie américaine dans le monde et plus particulièrement la relation des Etats-Unis avec le monde depuis les années 1950. L’Amérique latine et le Moyen-Orient deviennent en effet à partir de cette période deux sphères d’influence essentielles pour les Etats-Unis, des pivots géopolitiques nécessaires à la réalisation des intérêts américains dans le court et le long terme.
Si Fukuyama considère « la fin de l’histoire » au début des années 1990 comme une période propice à l’américanisation du monde, il ne mesure pas suffisamment l’importance de l’antiaméricanisme qui croît et se diversifie. L’Amérique se rend très vite compte que « nous [ne] sommes [pas] tous Américains»[1] et donc qu’elle a des ennemis, qu’elle inscrit sur la liste des « Rogue States », en d’autres terme les « Etats-voyous », d’autant plus qu’en 2001, la politique étrangère américaine se décline autour d’une vision manichéenne, divisant le monde en « Axe du bien » et en « Axe du Mal ».
Ce rappel est nécessaire aujourd’hui en 2015, à l’heure où les Etats-Unis redéfinissent leur politique étrangère autour d’une nouvelle stratégie axée sur le désenclavement de certains Etats et le retour de la diplomatie en vue de créer de nouvelles alliances, notamment avec Cuba et l’Iran.
Le sujet proposé se présente donc comme une étude comparative entre les deux processus de « réconciliation » lancés entre les Etats-Unis et Cuba (rapprochement depuis le 17 décembre 2014) d’une part et entre les Etats-Unis et l’Iran d’autre part (Accord de Vienne du 14 juillet 2015). Cette comparaison se fera avec :
-une approche historique : rupture diplomatique avec Cuba et l’Iran (causes, conséquences pour les deux pays et aspects des tensions, de la conflictualité et de l’anti-américanisme) ;
- une approche juridique : qu’est-ce qu’un « Etat-voyou » dans le droit international et dans la politique étrangère américaine ? – application sur Cuba et l’Iran ;
- une approche géopolitique : quel est l’intérêt géopolitique de Cuba et de l’Iran en 2015 pour les Etats-Unis ?
- une approche systémique : comment intégrer Cuba et l’Iran dans le système international et au sein de la communauté internationale ;
- une approche fonctionnelle : comment s’est élaboré le processus de négociation avec ces pays.
A partir de ces différentes approches, nous essaierons de conclure que les Etats-Unis déploient en 2015 les prémisses d’un nouvel ordre mondial, fondé sur ces nouvelles ouvertures diplomatiques, nécessaires au moment où il est question pour les Etats-Unis de réaffirmer leur rôle de gendarmes du monde et leur place d’hyperpuissance dans un monde de plus en plus complexe, dans lequel une vision réaliste des relations internationales s’impose, c’est-à-dire une prise de conscience du multilatéralisme évident, illustré par les dynamiques de coopération et paradoxalement par la compétition permanente entre les grandes puissances. Le réalisme se traduit aussi par le renoncement à une partie des idéaux internationaux et au respect de la souveraineté des Nations, principe cher à l’ONU, qui se conjugue avec les principes mêmes de l’Etat de droit, relatifs aux droits de l’homme. Si à Cuba[2] et en Iran la souveraineté ne se négocie pas, il est désormais question de déployer une nouvelle stratégie, qui consiste donc à entamer le dialogue et à surpasser la méfiance.[3]
Par ailleurs, ce qui me motive à écrire cet analyse, c’est l’idée que le rapprochement Washington/Cuba semble préfigurer le rapprochement Washington/Téhéran.
Le 26 octobre 2010, lors d’une intervention devant la Chambre des Représentants, la Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères américaine, Hillary Clinton, n’hésite d’ailleurs pas à comparer la question du nucléaire iranien à la crise de Cuba de 1962, en ce sens où la violation du droit international et de la sécurité américaine est certaine, aussi bien pour les Etats-Unis que pour le monde libre.
Les pays d’Amérique latine et l’Iran coopèrent de plus en plus depuis quelques années, notamment sur le plan militaire et commercial[4]. Entre 2005 et 2012, l’ancien président iranien Ahmedinejad a fait une visite dans sept pays d’Amérique latine. Or l’Amérique latine constitue l’ « arrière-cour » des Etats-Unis.
Cuba et l’Iran ont tous les deux été victimes de sanctions[5] de la part des Etats-Unis et de la communauté internationale qui ont affaibli la population civile, et dans une moindre mesure les gouvernements, seulement en ce sens où ils ont été dans une situation d’enclavement sur le plan international.
La politique du rapprochement / de la « main tendue » confirmerait-elle que les Etats-Unis disposent bien d’une « destinée manifeste », celle de dominer le système-monde, ou du moins de le modeler, persuadés de leur supériorité idéologique ?
Dans un premier temps, nous rappellerons la situation de Cuba et de l’Iran, considérés comme des Etats-voyous par les Etats-Unis. Puis nous analyserons les véritables enjeux du rapprochement, en insistant sur le nouveau contexte international marqués par de nouvelles menaces qui atténuent la rupture diplomatique entre les Etats-Unis et ces deux pays, pour enfin définir les caractéristiques de la nouvelle stratégie américaine, inscrite dans une politique étrangère du court terme, considérant le dialogue comme une tactique de transition pour réaffirmer les positions des Etats-Unis dans le monde.
I- Cuba et l’Iran : des Etats-voyous, mis au ban de la communauté internationale
A- Situation de Cuba : rupture diplomatique depuis la crise des missiles de 1962
Dans l’histoire de la Guerre froide, la crise de Cuba de 1962 constitue un moment crucial des relations internationales, en raison de la dissuasion nucléaire entretenue par les deux Grands. Mais ce que nous retenons de cette crise ce sont deux choses essentielles sur le plan géopolitique :
1- Cuba constitue un Etat pivot aussi bien pour les Etats-Unis que pour l’URSS ;
2- Cuba constitue un enjeu vital pour les Etats-Unis aussi bien dans le cadre de la politique du containment que dans leur projet néo-libéral d’une grande ZLEA (Zone de libre-échange américaine).
Lorsqu’en 1958, Che Guevara et Fidel Castro entament leur révolution sur l’île, les Etats-Unis réagissent rapidement, par la tentative du débarquement des exilés cubains et de l’ancien président Battista, en vain. La rupture diplomatique apparaît comme la seule solution et se manifeste par le retrait de Cuba de l’Organisation des Etats Américains, isolant Cuba sur la scène régionale et internationale en 1961. En 1962, les Etats-Unis décident de l’embargo commercial contre Cuba.
La première rupture de 1958 se justifie d’abord par un antagonisme d’ordre idéologique, que l’on peut aisément comprendre dans le contexte de la guerre froide, puisque Cuba fait le choix d’une idéologie révolutionnaire, socialiste, proche de l’URSS.
En 1962, survient une rupture d’un autre ordre, puisque Cuba ose la stratégie de la dissuasion, en acceptant que l’URSS pose ses rampes de missiles sur son territoire.
Depuis 1962, tout en allégeant leur politique migratoire envers les Cubains[6], les Etats-Unis renforcent l’embargo contre Cuba[7]. En 2004, Cuba annonce la fin de ses transactions commerciales en dollars, au nom d’une politique de souveraineté et d’un antiaméricanisme certain. La rupture entre les deux pays est donc consommée.
B- Situation de l’Iran : la montée de l’antiaméricanisme depuis la révolution islamique de 1979
Les relations entre les Etats-Unis et l’Iran sont assez complexes depuis que l’Iran a remplacé la Perse, depuis qu’un nouvel Etat indépendant émerge au Moyen-Orient à la fois comme un acteur stratégique pour les Etats-Unis et comme une puissance régionale. La politique interventionniste des Etats-Unis en Iran date des années 1950, avec la crise iranienne de 1953, le Premier ministre Mossadegh menant une politique nationaliste, contrant les intérêts des Etats-Unis et plus particulièrement de la CIA. A partir de cette date, nous pouvons comprendre que l’histoire politique de l’Iran dépend intégralement des projets américains dans la région. Nous pouvons distinguer dès lors deux périodes principales :
- 1953-1979, période pendant laquelle l’Iran est contrôlé par le Shah Mohamad RezaPavlavi, allié inconditionnel des Etats-Unis, pro-libéral et cependant menant d’une main de fer son pays et sa population. En effet, les Etats-Unis s’ingèrent dans les affaires intérieures de l’Iran, remettant en cause l’indépendance de ce dernier[8]. Or le Shah maintient tout de même une politique de souveraineté marquée par un accord de coopération avec les Etats-Unis, qui fait des deux pays les responsables de la sécurité dans le golfe arabo-persique, dans le cadre de la politique des « deux piliers ».
- 1979-2015, période post-révolutionnaire, pendant laquelle l’Iran est une théocratie, démocratique, mais où se développe un anti-américanisme revendiqué et assumé.
On passe donc d’une stratégie d’alliance à une stratégie de rupture diplomatique à partir de 1979. Cette rupture est consommée au moment où l’Ayatollah Khomeiny mène la Révolution islamique en Iran, obligeant le Shah à l’exil et s’opposant ouvertement aux Etats-Unis, considérés comme responsables de l’instabilité et de l’insécurité dans la région. L’Ayatollah Khomeiny a cependant la même ambition que le Shah, celle de faire de l’Iran une puissance régionale, mais avec un instrument différent, non plus le libéralisme mais l’islam politique.
Ainsi à partir de 1979, cinq dates peuvent résumer la concrétisation de la rupture entre les Etats-Unis et l’Iran :
1- la révolution islamique de 1979 : en ce sens où elle constitue une rupture idéologique, annihilant la politique du containmentdes Etats-Unis, qui ne peuvent plus reposer sur l’allié iranien pour contenir le communisme et l’influence de l’URSS dans la région, dans un contexte de guerre fraîche, dans le cadre de la guerre froide.
2- La crise des otages de l’ambassade américaine à Téhéran entre 1979 et 1981 : en ce sens où elle constitue une réelle rupture des relations diplomatiques. La prise des otages peut être considérée à la fois comme permettant de consolider le pouvoir du clergé radical et donc en même temps comme « l’échec du Grand Satan face à la détermination révolutionnaire»[9]. La prise d’otage est un signal au peuple iranien qui doit comprendre que le pouvoir en Iran vient de Dieu et non de Washington. « La prise d’otages du nid d’espions avait comme signification symbolique de démontrer la faiblesse des Etats-Unis et de dévoiler au monde entier leur vulnérabilité en envoyant des espions à la place des diplomates »[10]. Dès 1981, les Etats-Unis ferment leur ambassade à Téhéran. Cette crise correspond également au début des sanctions émises par les Etats-Unis, à savoir la rupture des relations commerciales en suspendant les importations de pétrole d’Iran.
3- La guerre Iran/Irak entre 1980 et 1988: en ce sens où il s’agit là de concrétiser la rupture de l’alliance politique et militaire entre les Etats-Unis et l’Iran. Selon l’Iran, ce sont les Etats-Unis qui auraient demandé à l’Irak sunnite de Saddam Hussein de s’engager en guerre contre leur pays voisin, chiite et islamiste.
4- La mort de l’Ayatollah Khomeiny en 1989, qui coïncide avec l’affaiblissement, voire l’enclavement de l’Iran sur la scène internationale : fuite des capitaux, absence d’alliés, guerre. L’Iran est à ce moment-là on ne peut plus éloigné de son objectif de leadership régional.
5- Des efforts vains de redressement de l’Iran entre 1994 et 1995 : le HodjatolesmanHachemiRafsandjami décide d’améliorer ses relations avec Washington en créant une zone d’intérêt économique. Le premier contrat devait porter sur le pétrole avec la coopération de la compagnie américaine Conoco. Mais à la demande d’Israël, qui souhaite que les Etats-Unis, au lieu de se réconcilier avec l’Iran, émettent des sanctions contre ce dernier, le Président américain Bill Clinton interdit ses contrats par deux ordres exécutifs le 15 mars et le 6 mai 1995. Cette même année, l’Iran est accusé de soutenir le terrorisme. Ce qui justifie les sanctions et isole davantage l’Iran.
On voit donc que Washington rejette la politique de la « main tendue » en 1995, puis en 2001 - lorsque les Etats-Unis inscrivent l’Iran sur la liste des pays qui font partie de l’ « Axe du Mal », malgré la reprise du dialogue voulue par l’Iran qui souhaite coopérer avec les Etats-Unis dans leur guerre contre le terrorisme, en matière de renseignement - et enfin en 2003, alors que le Président réformateur Khatami ait proposé un projet de négociation globale avec les Etats-Unis en échange de la fin des sanctions.[11]
L’hostilité des Etats-Unis à l’égard de l’Iran est clairement affichée. La stratégie américaine semble axée sur une volonté de renverser le régime iranien, l’Iran n’étant pour eux qu’un Etat client, sans réel pouvoir.
Le refus du rapprochement et de la coopération, initié par les Etats-Unis est instrumentalisé dans les discours politiques iraniens, notamment ceux du Président Ahmedinejad, qui radicalise ses positions et prône l’anti-américanisme comme doctrine d’Etat. Si l’on adopte une approche cognitive, il y a méfiance des deux côtés, accentuant l’Hubris, c’est-à-dire cette impossibilité à reconnaître l’autre comme un partenaire potentiel.
Comme nous l’avons précisé précédemment, l’Iran est inscrit sur la liste des pays l’ « Axe du Mal » et donc sur la liste des Etats-voyous, en raison des liens avec le terrorisme international, de l’idéologie anti-américaine mais surtout en raison de la stratégie de prolifération dont l’Iran est soupçonné. En effet depuis 2002, les sites clandestins de Natanz (lié à l’enrichissement d’uranium) et d’Arak (lié à l’enrichissement de plutonium – eau lourde – où sont présents les usines de production et le réacteur de recherche) sont révélés[12] et confirment les doutes à l’égard des activités nucléaires de l’Iran, qui s’éloignent du programme de nucléaire civil[13]. L’Iran, ayant signé le Traité de non-prolifération en 1968, doit jouer le jeu de la non-prolifération, selon la communauté internationale.Or, les images diffusées aux Etats-Unis laissent entendre que l’Iran met au point « des armes de destruction massives », bien que l’Iran, par la suite ait accepté l’inspection par l’AIEA des installations révélées.
L’Iran est accusé par la communauté internationale et surtout par Israël de développer un programme nucléaire à visée militaire, qui conforterait la situation de l’Iran dans la région, en tant qu’acteur de la dissuasion, faisant face à Israël et à l’Arabie Saoudite. En effet, après le bombardement et la destruction du site nucléaire de Bouchehr, pendant la guerre contre l’Irak, l’Iran s’accorde avec la Syrie et la Libye à développer l’arme nucléaire en 1985. Ce n’est qu’en 2002 que le programme nucléaire est relancé avec la première unité de centrale nucléaire sur l’ancien site détruit, au sud-est du pays. Face à la déclaration du Président Ahmedinejad en 2005 que « l’Iran rejoint les pays nucléaires », la communauté internationale réagit en renforçant la pression sur l’Iran, et ce de manière globale. Les sanctions proviennent de l’AIEA qui saisit le Conseil de Sécurité des Nations Unies qui vote des résolutions[14] contre l’Iran ainsi que des sanctions[15], aggravant la situation humanitaire ; de l’UE, qui opte pour des sanctions, de plus en plus contraignantes depuis 2012, puisque touchant les secteurs de la finance, des transports et de l’énergie en Iran ; et enfin des Etats-Unis, qui poursuivent leur embargo sur l’Iran depuis 1979 et énoncent de nouvelles sanctions contre le régime[16].
C- L’inscription de ces pays sur la liste des Etats-voyous : quelles conséquences géopolitiques, économiques et juridiques pour ces pays
Selon Robert Litwak[17], « L’Etat voyou, c’est celui qui est déclaré comme tel par les Etats-Unis ».
Le concept d’Etat voyou n’est pas nouveau. On retrouve déjà cette conception avec Saint-Augustin qui nous parle au Moyen-Age des Etats brigands. Les Etats voyous sont les Etats dits « faillis », « préoccupants », « décomposés », voire des régimes « parias », situés aux marges du système-monde et ne respectant pas le droit international. C’est Anthony Lake qui définit le premier les Etats voyous qui sont « ceux qui manifestent une incapacité chronique à traiter avec le monde extérieur.[18]» . Sous la présidence Reagan, l’adjectif voyou est utilisé pour qualifier le régime libyen de Kadhafi qui représentait dans les années 1980 une menace pour les intérêts américains et pour la sécurité collective. L’expression perd de sa pertinence sous le mandat de Clinton : la secrétaire d’Etat, Madeleine Albright préférait parler d’ « Etats préoccupants » (States of concern). L’expression redevient à l’ordre du jour après les attentats du 11 septembre. Le 16 septembre 2001, les Etats-Unis établissent une liste de sept Etats-voyous dans le monde : la Corée du Nord, le Pakistan (retiré depuis qu’il coopère avec les Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme), l’Irak (retiré depuis la guerre de 2003), l’Afghanistan (retiré depuis la guerre de 2001 contre le régime des Talibans), la Libye (retirée après la mort de Kadhafi) et enfin l’Iran. Cuba, le Soudan et le Venezuela, bien que ne figurant pas sur la liste, sont souvent cités comme des exemples d’Etats-voyous.
Dans le document de 2002, les Etats-Unis établissent cinq critères pour déterminer si un Etat est un « voyou » :
- le mauvais traitement à l’égard des populations,
- le non-respect du droit international et la violation des Traités,
- la volonté d’acquisition d’armes de destruction massive
- le soutien au terrorisme
- l’opposition aux Etats-Unis.
Ainsi on retrouve pour la première fois cette dénomination dans le Bottom up review de 2003.
Les Etats voyous apparaissent dans des espaces considérés comme stratégiques par les Etats-Unis, comme par exemple les nouveaux Balkans, à savoir l’Iran.
Les Etats-voyous sont donc des Etats à désigner comme tel, à contenir en raison des menaces qu’ils suggèrent, à anéantir, si ces menaces sont effectives.
Dès 1993, le Secrétaire d’Etat à la défense américain met en place la « Stratégie de défense régionale », qui consiste à remplacer la politique du containment, et ce afin de réduire le nombre d’Etats voyous dans le monde. Réduire le nombre des Etats-voyous par la démocratisation, par la guerre, par la diplomatie. C’est cette dernière option que les Etats-Unis semblent avoir choisi concernant l’Iran et Cuba. Figurer sur la liste des Etats-voyous est synonyme d’être mis au ban des nations, en marge du système-monde, des échanges internationaux, des discussions internationales. L’Etat, véritable « monstre froid », devient « monstre » tout simplement, paria et victimes des mauvais traitements de la communauté internationale (sanctions, embargo, perte de souveraineté, engrenage dans la spirale totalitaire et anti-démocratique).
II- Une politique étrangère américaine renouvelée
A- Les menaces qui pèsent sur l’hyperpuissance américaine: du relativisme en politique étrangère ?
Les Etats-Unis sont conscients depuis 2001 de la complexité du monde et des relations internationales, marquée par l’émergence de nouveaux acteurs et de nouvelles menaces à savoir :
- le terrorisme et la pluralité d’organisations terroristes : Al Qaeda, AQMI, Daech…
- l’anti-américanisme : en Iran, en Amérique latine, dans les pays islamistes
- le nucléaire
- les pays émergents (les BRICs) : la Chine qui détient 8% de la dette américaine, le Brésil qui menace le marché américain en Amérique latine…
- la crise économique, qui secoue depuis 2008 l’économie américaine
- l’épuisement des ressources fossiles et la recherche de sources et d’énergies alternatives : problématiques du gaz de schiste, dépendance à l’égard de l’Arabie Saoudite…
- l’exigence du multilatéralisme revendiqué par la Russie, l’UE et les BRICs…
Les Etats-Unis sont de plus en plus conscients que l’hyperpuissance est un fardeau et en même temps une nécessité pour les Etats-Unis. Les menaces et les mutations du système international impose de la part des Etats-Unis une recomposition de sa place dans le monde, ou plutôt de ses rapports au monde. Toute politique étrangère, bien qu’elle repose sur des permanences, est loin de reposer sur un dogme et invite une approche qui est celle de la relativité. Les ennemis d’hier peuvent-il être les amis de demain ?
Comment se représenter et représenter l’ennemi ?
Nous adopterons dans cet article une approche dite cognitive, qui consiste à comprendre le jeu et les enjeux de la représentation que chacun des Etats a de l’autre, afin de mieux analyser les dynamiques de la confrontation ainsi que les motivations du rapprochement. L’approche cognitive permet en effet de saisir l’évolution de la menace, des comportements, des actions et des réactions des acteurs sur une période donnée. Ainsi le comportement des décideurs serait dicté par sa représentation de la situation internationale. Cette approche nous semble pertinente et efficace dans la mesure où les rapports entre les Etats, dont il est question dans cet article, sont déterminés par des facteurs hétérogènes qui ont évolué depuis plus d’un demi siècle.
« The only way to understand the twenty-five year confrontation between Iran and the USA is to know the history of the relationship. Contained in thathistory are all of the elements of ourcurrent impasse. Most Iranians know thathistory – or somewarped version of it – twovuel. Mos Americans know ittoolittle. »[19]
Selon Pollack, le poids de la mémoire apparaît comme un facteur déterminant pour appréhender le présent. L’approche cognitive insiste ici sur l’importance des « leçons du passé » et de la ligne à suivre pour ne pas reproduire les mêmes erreurs.
L’idéologie devient alors un paramètre qui détermine le comportement, celui en l’occurrence des Etats-Unis, attachés à mettre en œuvre une doctrine libérale et confrontés à l’Iran, attachés quant à eux à la doctrine du wilayat el faqikh. L’antagonisme naturel des deux idéologies explique la longue période de tensions entre les deux pays et par là même, la méfiance mutuelle depuis les années 1950 et plus particulièrement depuis la rupture de 1979.
J’ai essayé de représenter dans un tableau (Annexe 1) les représentations américaines et iraniennes de certaines situations. Ainsi concernant le programme nucléaire iranien, l’Iran le considère comme légitime : « Bien que tout pays signataire du TNP ait le droit de continuer à développer la technologie nucléaire à des fins pacifiques et de produire du combustible, aucune des puissances atomiques ne s’est montré disposée à nous aider. Nous avons donc commencé à nous procurer par d’autres voies tout ce dont nous avions besoin, par exemple, sur le marché noir international ou par contact avec des personnes et organisations ad hoc. C’est ce que nous avons fait et nous avons avancé d’un grand pas ».[20]
L’Iran souhaite développer son leadership dans la région, pour trois raisons : « l’énergie, son besoin de réagir face à un sentiment d’encerclement par les Etats-Unis et son idéologie révolutionnaire » .[21]
Dans le tableau (Annexe 2), j’ai résumé les représentations américaines et cubaines à différentes échelles, expliquant la nature des antagonismes, et on se rend compte qu’il s’agit davantage d’un antagonisme idéologique, moins sévère et plus facile à atténuer que celui entre les Etats-Unis et l’Iran, dans la mesure où il n’est pas question d’un rapport de force ou d’une compétition entre puissances, mais plutôt parce que l’idéologie elle-même n’est pas une permanence de l’histoire, théoriquement, oui, mais le temps, l’espace, la population atténue son efficacité et sa pertinence. C’est ce qui se passe à Cuba et qui motive les Etats-Unis dans leur stratégie de rapprochement.
La question des représentations est nécessaire pour comprendre les comportements des acteurs sur la scène internationale.
B- Cuba et l’Iran : enjeux géopolitiques majeurs pour les Etats-Unis : Etats pivots, ZLEA
Il est nécessaire dans une première partie de faire une rétrospective des relations entre les Etats-Unis et l’Iran depuis le début du XXème siècle pour comprendre le « paradoxe américain » et les réels enjeux que posent le rapprochement de 2015.
La démocratisation de l’Iran constitue un projet qui date de 1909, théorisé et mis en place par deux Américains : Howard Baskerville - qui a déployé ses efforts dans l’élaboration d’une Constitution iranienne, qui permettrait à la Perse de s’opposer aux forces militaires de la dynastie Qadjar - et Morgan Shuster, trésorier général en Perse[22]. Les Etats-Unis ont fait du Moyen-Orient une sphère d’influence, un pivot géopolitique, nécessaire pour contrôler le Heartland, voire l’Eurasie[23].
Dans cette logique, l’Iran apparaît comme un « partenaire nécessaire » pour réactiver le jeu multipolaire au Moyen-Orient. Voilà un exemple de « smart strategy » qui laisse entrevoir aussi bien un retour au pragmatisme en politique étrangère (celui visible dans les méthodes pratiquées par le couple Nixon/Kissinger dans les années 1970), qu’une politique nouvelle adaptée à la complexité du monde du XXIème siècle. La stratégie de Barack Obama correspond à une lecture holistique du Moyen-Orient : regarder la région comme un tout[24], au détriment d’une lecture compartimentée en dossiers autonomes. La politique du linkage des années 1970 s’impose donc comme une méthode de lecture et de compréhension des enjeux américains dans la région, et dans le monde.
Les Etats-Unis auraient donc besoin de l’accord de l’Iran concernant leur projet du « Grand Moyen-Orient », et en l’occurrence concernant le projet d’un Irak fédéral, divisé en trois. En effet les Etats-Unis sont convaincus que l’Iran doit devenir « une puissance régionale très prospère[25]» . Les négociations sur le nucléaire font donc partie d’une stratégie finement pensée qui s’inscrit dans une volonté de redessiner les cartes géopolitiques de la région.
Aussi peut-on penser que les Etats-Unis craignent, qu’en tant qu’Etat-voyou sacralisé, l’Iran ne serve d’Etat-pivot dans la politique étrangère des grandes puissances qui veulent réduire la puissance des Etats-Unis, comme la Chine ou la Russie, qui apparaissent comme des peercompetitors. Et ainsi l’inclusion d’un Iran nucléarisé dans la sphère de ces puissances pourrait légitimer la généralisation de la prolifération nucléaire et poser par la suite le dilemme de la sécurité et de l’équilibre des forces.
Dans le même sens. On peut considérer Cuba comme un Etat pivot pour contrecarrer la domination du Brésil sur une partie de la mer des Caraïbes, et ainsi permettre aux Etats-Unis de progresser dans leur projet d’une vaste zone de libre-échange des Amériques.
III- Le processus de négociation ou le retour de la diplomatie sur la scène internationale
A- La diplomatie contre la guerre : comment repenser les rapports entre les Etats-Unis et le monde ?
Comprendre le rapprochement entre les Etats-Unis, Cuba et l’Iran, c’est surtout comprendre que le monde a changé. Il est devenu plus complexe en raison de plusieurs facteurs :
- la chute de l’URSS, et la démocratisation inéluctable du monde comme l’avait théorisé Francis Fukuyama dans la « Fin de l’Histoire » ;
- la chute des dictatures latino-américaines des années 1980 ;
- l’émergence de mouvements populaires en Amérique latine ;
- le déclin relatif des Etats-Unis depuis la prise de conscience de leur vulnérabilité en 2001.
Le mandat de Barack Obama touchant à sa fin, il fallait marquer le coup et inscrire la marque du nouveau président une dernière fois dans le domaine de la politique étrangère. Défendant l’accord sur le nucléaire iranien, Barack Obama déclare : «Beaucoup de ceux qui ont milité pour la guerre en Irak, font désormais campagne contre l’accord sur le nucléaire iranien. (…) La même mentalité, souvent offerte par les mêmes personnes, qui ne semblent ressentir aucune gêne à être constamment dans le tort, a mené à une guerre qui a fait davantage pour renforcer l’Iran, davantage pour isoler les États-Unis, que tout ce que nous avons fait avant ou après. C’est une mentalité qui est contraire à la politique étrangère des États-Unis. (…) De façon ironique, le plus grand bénéficiaire de cette guerre dans la région a été l’Iran, qui a vu sa position stratégique renforcée par l’éviction de Saddam Hussein, son ennemi de longue date[26]».
Les Etats-Unis sont pour la première fois dans l’autocritique, et c’est ce qui marque le renouveau de la politique étrangère américaine. Autocritique ou devrais-je écrire pragmatique. Les politiques étrangères s’adaptent au contexte international. Tantôt elles sont des politiques étrangères bellicistes, tantôt elles sont pacifiques, utilisant la diplomatie comme instrument.
La nouvelle stratégie américaine consiste en effet en une volonté d’utiliser la normalisation comme un instrument stratégique subversif. Il s’agit dès lors d’une stratégie intelligente (« smart strategy »), relative à la politique de la « main tendue ». Les Etats-Unis se lancent dans un « strategiclistening » au lieu de la confrontation directe, voire de la rupture radicale des relations diplomatiques.
Pour la première fois depuis 2003, les Etats-Unis admettent la multipolarité comme une nécessité pour faire fonctionner le système-monde, comme une nécessité aussi pour faire accepter l’hégémonie américaine et renforcer ainsi l’hyperpuissance mondiale. La stratégie américaine consiste alors à adopter une vision optimale, celle d’un multilatéralisme souple en même temps qu’un unilatéralisme bienveillant. D’où le développement de la « diplomatie des sommets », qui a l’air de fonctionner avec l’Iran et Cuba depuis 2014. La concertation débouche sur des visions communes plutôt que sur des décisions concrètes.
Le changement de stratégie américaine à l’égard de Cuba s’explique par des facteurs aussi bien internes qu’externes.
Tout d’abord, depuis le début de la rupture diplomatique, de fortes pressions de la communauté des Etats d’Amérique latine, et de manière générale de la communauté internationale, ont été émises. Pour la vingt-troisième année consécutive, 188 pays sur 192 s’opposent à la poursuite de l’embargo américain à Cuba à l’Assemblée Générale de l’ONU en octobre 2014.
De même, lors du Sommet Caricom en décembre 2014, les Etats membres confirment leur opposition à l’embargo, considéré comme « absurde ».
Déjà, les Etats membres de l’Organisation des Etats Américains (OEA) avait témoigné de leur solidarité avec Cuba lors du Sommet des Amériques à Carthagène en Colombie en 2012, et avaient même menacé les Etats-Unis de boycotter le prochain Sommet des Amériques à Panama en avril 2015, si Cuba ne participe pas[27].
Il s’agit donc d’un processus global voulu par l’ensemble de la communauté internationale.
Par ailleurs, le changement de stratégie des Etats-Unis est lié à un facteur interne : la question de la sécurité des Etats-Unis, dans un contexte de multiplication des menaces et de compétition avec la Russie sous des airs de guerre froide. En effet en juillet 2014, Cuba et la Russie concluent un accord de coopération relatif à un retour des troupes russes sur l’île (bases de Lourdes), suscitant l’inquiétude de Washington du point de vue stratégique à l’heure où l’OTAN est désigné par la Russie comme son ennemi numéro 1, dans le cadre de la nouvelle stratégie du Kremlin en 2014.
Ainsi on peut comprendre le rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba comme une volonté des Etats-Unis d’avoir un droit de regard sur les activités russes sur l’île.
Enfin sur le plan national, l’opinion publique américaine semble favorable à ce rapprochement, d’après un sondage publié par le PewResearch Center[28]. Ce qui peut expliquer cette volonté d’assouplissement de la politique américaine à l’égard de Cuba, c’est certainement l’augmentation de la place et du poids de la population d’origine hispanique aux Etats-Unis, aussi bien au sein de la société américaine qu’aux niveau de la prise de décision[29]. Mais n’oublions pas non plus que l’opinion publique constitue aux Etats-Unis un acteur prépondérant dans la politique américaine, en particulier concernant l’engagement des Etats-Unis en tant que « gendarmes du monde ». Rappelons-nous que c’est sous la pression de l’opinion publique que les Etats-Unis se sont désengagés du Vietnam au travers du processus de vietnamisation, lancé par le Président Nixon dès 1968. La population américaine est en effet sensible aux conséquences infligées par la rupture des relations diplomatiques ainsi que par les sanctions infligées à la population cubaine. Il s’agit désormais de repenser la population cubaine, comme une population « dés-idéologisée », pro-démocratique et qui pense l’avenir non plus sous le dogme de l’anti-américanisme. Barack Obama se lance dans cette perspective dans une politique du « bond en avant », tenant compte de cette nouvelle génération qui prendra les rennes du pouvoir cubain dès 2018. Les Etats-Unis lance donc un appel à la solidarité avec le peuple cubain, comme le clame le président américain : « TodossomosAmericanos ». On peut donc comprendre que le changement de stratégie américaine correspond davantage à une stratégie de soutien à la population civile, plutôt qu’à une volonté de changer le régime cubain. La relance des relations diplomatiques favoriserait dans cette optique la révolution d’en bas et non plus comme les Etats-Unis l’avaient souhaité depuis 1961, et qui a été une pensée vaine, la révolution d’en haut. C’est ce qu’avait affirmé Barack Obama le 17 décembre 2014 : « On ne peut pas poursuivre la même politique pendant des décennies et espérer obtenir un résultat différent ».
Au-delà du discours sur la solidarité, restons réalistes. Les Etats-Unis considèrent Cuba, puisque celle-ci constitue un marché naturel des Etats-Unis, comme un enjeu pour les investisseurs américains, comme Thomas Donolwe.
On pourrait,d’une autre manière, se demander pour quelles raisons le changement de stratégie ne s’est pas opéré plus tôt à l’égard de Cuba. Trois explications peuvent être données :
- les Etats-Unis s’étaient lancé depuis 1961 dans une sorte de guerre froide tropicale. La doxa américaine repose en effet sur une politique implacable et intangible qui consiste à ne pas se rapprocher de Cuba tant que Cuba ne se démocratise pas.
- En 2009, Alan Grass, un ressortissant américain, ancien contractuel de l’Agence fédérale américaine pour le développement international (Usaid), est arrêté par les autorités cubaines et condamné à quinze ans de prison. Son arrestation accentue les tensions entre Cuba et les Etats-Unis, et il faut attendre sa libération en 2014 pour que les deux pays décident enfin d’un réchauffement de leurs relations.
- Les Etats-Unis ont depuis 2001 remodelé leur définition du terrorisme, qui ne correspond plus à celle des années 1980, associées aux actions des guérillas d’Amérique latine. A l’heure de menaces plus graves, provenant de groupes plus extrémistes comme Al Qaeda ou Daech, les Etats-Unis relativisent donc leur relations avec Cuba et établissent une liste des menaces par degré de gravité.
La diplomatie serait donc considérée comme le recours au « smart power », c’est-à-dire considérer que le discours et la négociation ne se réduisent pas à de simples pourparlers, mais comme des moyens de garantir des engagements surs de la part d’Etats dont on a décidé de se rapprocher. Interviewé par deux journalistes français de France 2 mercredi 11 novembre 2015, le Président iranien Hassan Rohani a répété dans chacune des questions pratiquement que l’Iran s’est engagé à… : à respecter le Traité de non-prolifération, à ne pas poursuivre des activités de prolifération, à accepter le contrôle de l’AIEA, à promouvoir le dialogue… L’idée d’engagement est très importante et montre un retour de la confiance dans les relations diplomatiques, confiance évidemment mutuelle, même s’il ne s’agit que du court terme. Sachant que les ruptures diplomatiques sont dues à des situations de méfiance, voire de défiance de l’un par rapport à l’autre, la règle d’or dans les négociations internationales, surtout dans le cas que nous abordons, c’est-à-dire l’inclusion d’Etats « préoccupants » dans le système international, consiste à se redonner confiance. Sommes-nous entrain d’assister aux prémisses d’une certaine éthique en relations internationales en nous posant la même question que Brian M. Barry : les Etats ont-ils des obligations morales ? La guerre punitive a-t-elle un sens ? La diplomatie n’est-elle pas plus rationnelle et efficace ?
B- Etats-Unis-Cuba : un processus de négociation au service du rapprochement depuis 2013
Le 17 décembre 2014, les Etats-Unis prennent la décision de rétablir leurs relations diplomatiques avec Cuba. Cette décision de la Maison Blanche prend ici un caractère symbolique, mais surtout elle reflète un calcul stratégique de l’Administration Obama. En effet, depuis l’arrivée au pouvoir de Barack Obama, on assiste à un rapprochement progressif entre les deux pays : tout d’abord en 2009, le nouveau Président de la République lève les restrictions sur les voyages et l’envoi d’argent des cubano-américains, abrogeant la loi Helms-Burton, votée sous le mandat de Georges W. Bush en 2001 et souhaitant « emmener les relations américano-cubaines dans une nouvelle direction ». D’ailleurs en avril 2009, des représentants américains et cubains entament le dialogue, qui prend un configuration symbolique avec la poignée de main entre les deux Présidents, pendant l’hommage rendu à l’ancien président sud-africain Nelson Mandela à Soweto en Afrique du Sud. Entre le 9 janvier et le 17 décembre 2014, on assiste à la poursuite du dialogue, notamment sur les questions migratoires et la libération de prisonniers par chacune des parties. Le changement de stratégie est annoncé par cette phrase symbolique prononcée par Barack Obama : « Nous sommes tous Américains ».
Certainement faut-il voir ce rapprochement comme une nouvelle ère dans les relations entres les Etats-Unis et Cuba, qui correspond à une ère post-Fidel Castro, post-castrisme, bien que ce soit le frère, Raul Castro qui est au pouvoir. Mais le nouveau président cubain est loin d’incarner l’essence du castrisme en tant que tel.
La reprise des relations diplomatiques comporte trois volets :
- la levée de l’embargo
- l’ouverture d’une ambassade américaine à Cuba
- la levée des restrictions vis-à-vis de Cuba dès janvier 2015 (transfert de fonds, voyages de touristes et déplacements des diplomates, reprise des relations commerciales).
Selon les Présidents de gauche en Amérique latine, vivement impliqués dans le processus de négociations depuis la rupture des relations, considèrent cet événement comme courageux, en ce sens où il constitue une rectification de l’Histoire. Rectification de l’Histoire, c’est-à-dire considérer l’Histoire comme allant dans le sens du progrès et donc de la civilisation. Rectifier l’Histoire, c’est-à-dire rendre justice au peuple cubain, victime des sanctions depuis plus de cinquante ans.
On assiste donc à la mise en place d’une nouvelle politique étrangère américaine à Cuba, ou plutôt à un revirement de politique étrangère, qui s’explique certainement par la prise de conscience de l’échec de la politique d’hostilité menée jusque là, par les Etats-Unis et leurs alliés.
Au lieu d’une politique d’hostilité, la stratégie américaine se tourne désormais vers une politique de séduction.
S’agirait-il de ce que l’on appelle le paradoxe de l’Administration Obama ?
En effet, depuis 1962, les Etats-Unis admettent la possibilité de la normalisation des relations avec Cuba si Cuba se lance dans un processus de démocratisation. Or depuis 1962, peu d’efforts ont été faits concernant la mise en place d’un Etat de droit à Cuba. Au contraire, Cuba figure sur la liste noire des pays soutenant le terrorisme. Raul Castro, quant à lui est accusé par les autorités américaines de complicité dans le trafic de drogue.
C- Etats-Unis-Iran : un processus de négociation global et sous condition
L’accord de Vienne sur le nucléaire iranien conclu le 14 juillet 2015 est considéré par l’ensemble de la communauté internationale comme un accord historique[30].
Dans cet accord, « l’Iran réaffirme qu’en aucune circonstance, l’Iran n’acquerra ou ne développera des armes nucléaires[31]» . Rappelons néanmoins que cet accord n’est ni signé ni ratifié. Une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies suivra. Cet accord comprend trois volets essentiels :
- la limitation des capacité nucléaires iraniennes (réduction à 20% l’enrichissement d’uranium)
- la transformation des sites préoccupants (Arak et Fordow)
- la transparence et la vérification des activités de l’Iran en matière nucléaire, vis-à-vis de l’AIEA[32].
L’accord de Vienne peut être interprété comme une solution négociée à une crise de prolifération majeure, et donc comme une réponse aux préoccupations de la communauté internationale et enfin comme une porte pour réintégrer l’Iran sur la scène internationale, si l’Iran respecte ses engagements. Il est mis en œuvre grâce à la réunion des grandes puissances internationales dans le cadredu groupe P+5[33]. Le processus de négociations avec l’Iran est quelque peu particulier, puisque entre 2009, date de l’élection de Barack Obama à la Présidence des Etats-Unis, et 2013, on assiste à des fluctuations importantes, tantôt les puissances et en particulier les Etats-Unis montrent une réelle volonté de négocier avec l’Iran, tantôt l’Iran montre des signes de velléités à l’égard de la communauté internationale, et ce, jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Hassan Rohani en juin 2013. Pour la première fois depuis 1979, le Secrétaire d’Etat américain, John Kerry, rencontre un Président iranien. Les négociations débutent à Genève et concernent le gel des activités les plus sensibles liées au nucléaire, ainsi que la levée partielle des sanctions. C’est ainsi que l’on peut parler d’un processus de négociations qui est considéré comme un succès diplomatique, puisque débouchant sur l’accord de Vienne le 14 juillet, après de longues discussions commencées deux semaines auparavant. L’accord de Vienne, s’il est appliqué dans les normes, crée les conditions de la paix et de la stabilité au Moyen-Orient, en faisant appel à la responsabilité des protagonistes, et en particulier à l’Iran. Responsabilité à l’égard du droit international, censé se placer au service de la sécurité collective, appelant dans ce cas l’Iran à respect ses engagements issus du Traité de non-prolifération, que l’Iran a signé en 1968 puis ratifié deux ans plus tard. L’accord de Vienne se place donc dans une perspective constructiviste : les engagements de l’Iran doivent lui permettre de réintégrer et de participer en tant qu’acteur dans le système-monde. C’est ce qu’on a pu d’ailleurs observer lorsque, à l’initiative des Etats-Unis, l’Iran est invité à la table des négociations concernant le conflit syrien en novembre 2015. L’accord de Vienne a donc effet immédiat puisque l’Iran aide à construire les prémisses d’un nouvel ordre mondial.
Conclusion
La politique étrangère américaine se renouvelle en acceptant dans une analyse du court terme le multilatéralisme, sans renoncer à préserver son hégémonie. L’heure est venue, plus de dix ans après le basculement du monde en 2001, de revoir le jeu des alliances entre les Etats-Unis et le monde. Si l’OTAN permet de consolider l’assise américaine en Europe et en Amérique du Nord, les Etats-Unis ont besoin d’alliés solides au Moyen-Orient et en Amérique latine. S’il n’est pas encore question d’alliance avec Cuba ou encore l’Iran, il s’agit de trouver un modus vivendi, à savoir les fondements d’un accord solide. Avec Cuba, les Etats-Unis ont choisi la démocratisation, avec l’Iran, la garantie de la non-prolifération. La « diplomatie des sommets » qui est entrain de se mettre en place devrait porter ses fruits si chacun des partenaires se résout à faire les concessions qui lui sont demandées, en particulier les Etats-Unis qui doivent respecter leurs engagements[34]. Il faudra donc attendre la fin du premier semestre 2016 pour évaluer la pertinence des négociations entre les Etats-Unis et l’Iran (Annexe 3), mais aussi entre les Etats-Unis et Cuba.
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[1]- Jean-Marie Colombani, « Nous sommes tous Américains », Le Monde, 13 septembre 2001 (Editorial).
[2]- « Patria o muerte » : la patrie ou la mort. Le peuple cubain ne semble pas vouloir renoncer à la souveraineté de Cuba et en même temps il tend vers des réformes démocratiques.
[3]- Voir Brzezinski Z., Gates R., Iran : Time for a new approach, Council of foreign relations, 2005 et Pollack K. M., Byman D. L., Indyk M. S., Maloney S., O’Hanlon M. E., Riedel B., WhichPath to Persia?: Options for a New American StrategyToward Iran, Brookings Institution Press, 2009.
[4]- Exemple des accords entre l’Iran et l’Argentine, « pétrole contre céréales ».
[5]- Exemple: résolution 1929 de juin 2010 du Conseil de Sécurité des Nations Unies.
[6]- Comme par exemple la « loi d’ajustement » de 1966 qui offre un droit d’asile aux Cubains qui fuient le régime castriste et un visa de travail aux émigrés illégaux, ou encore les accords migratoires de 1995.
[7]- Renforcement de l’embargo en 1996 par la loi Helms-Burton ; limitation des échanges en 2001 (voyages et transfert d’argent).
[8]- L’ingérence américaine peut être illustrée par l’accord SOFA de 1964, relatif au statut des forces américaines en Iran. Cet accord prévoit que le personnel militaire américain en Iran jouit d’une immunité diplomatique. L’Ayatollah Khomeiny considérait cet accord comme une « loi de capitulation », marquant la fin d’un Iran indépendant.
[9]- NouchineYavari-d’Hellencourt, « Les otages américains à Téhéran », La Documentation francaise, 1992.
[10]- Selon Bhezad Nabavi, responsable iranien lors des négociations qui mettent fin à la crise, in Pierre Salinger, « Otages, les négociations secrètes de Téhéran », Editions Buchet Chastel, 1981.
[11]- Cette proposition comprend quatre points: transparence nucléaire, coopération avec l’Irak, le désarmement de Hezbollah au Liban et la reconnaissance indirecte d’Israël.
[12]- Le Conseil national de résistance en Iran (CNRI), un groupe de dissident au régime iranien révèle la présence de ces deux sites, jusque-là inconnus.
[13]- Voir Annexe 4
[14]- Résolution 1696 du CSNU, 31 juillet 2006, qui exige que l’Iran « suspende toutes les activités liées à l’enrichissement » d’uranium avant le 31 août.
[15]- Résolution 1767 du CSNU, votée à l’unanimité en décembre 2006, qui établit la première série de sanctions, suivie d’une deuxième série en 2008.
[16]- Le 25 octobre 2007, les Etats-Unis visent les Gardiens de la Révolution, l’unité d’élite Al Qods et trois banques du pays, par des sanctions économiques.
[17]- Vice-président des Etudiants et Directeur des Etudes sur la sécurité international au Centre international de recherches Woodrow Wilson aux Etats-Unis, spécialiste des relations entre les Etats-Unis et l’Iran.
[18]- Anthony Lake, « Confronting Backlash States », Foreign Policy, mars-avril 1994
[19]- In Kenneth M. Pollack, “The Persian puzzle: the conflict between Iran and America”, Random House Trade, New York, 2005.
[20]- D’après le rapport présenté par Hassan Rouhani au Conseil suprême de la sécurité national iranien en 2006.
[21]- Clément Therme, chercheur associé à l’EHESS et spécialiste de l’Iran.
[22]- Morgan Shuster publie un rapport à son retour aux Etats-Unis en 1912, intitulé « The Strangling of Persia ».
[23]- « Qui contrôle le Heartland, contrôle l’Eurasie. Qui contrôle l’Eurasie contrôle la World Island » – Mackinder, Le pivot géopolitique de l’histoire, 1919.
[24]- Entretien de Barack Obama sur Al Arabiya, 26 septembre 2015.
[25]- Barack Obama, entretien sur la National Public Radio, 20 décembre 2014.
[26]- Discours prononcé le 5 août 2015 à l’American University de Washington.
[27]- Pour la première fois depuis 1958, Cuba participe au Sommet représentée par son président Raul Castro.
[28]- 63% des Américains sont en faveur d’une nouvelle politique étrangère américaine à l’égard de Cuba.
[29]- Nomination de Sonia Sotomayor comme juge à la Cour Suprême par exemple.
[30]- Sauf Israël qui le considère au contraire comme une « erreur historique » : « L’accord sur le programme nucléaire iranien est une erreur grave aux conséquences d’ampleur historique », in Le Monde, 14 juillet 2015.
[31]- Préface de l’accord de Vienne du 14 juillet 2015.
[32]- « Un accord qui n’est pas vérifiable est un accord qui n’est pas appliqué », Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères français, 14 juillet 2015.
[33]- Les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité, ainsi que l’Allemagne.
[34]- L’accord avec l’Iran portera ses fruits si l’Iran est capable de se plier aux lourdes concessions qu’on lui demande. Voir à ce sujet: Litwak Robert, « Can Iran’s nuclear capacity be limited? », Interview publiée par le Council on Foreign Relations, 19 juillet 2014
"من التقارب مع كوبا إلى اتفاق فيينا مع إيران: الاستراتيجية الجديدة لأميركا في العالم منذ العام 2014"
تعدّ الولايات المتحدة في أيامنا هذه القوة العالمية الأكثر نفوذاً والوحيدة التي تستند إلى اعماد السلطة القوية حيناً والخفيفة أحياناً أخرى ومؤخراً باتت تعتمد سياسة "السلطة الذكية". حيث إنّه تشكّل السياسة الخارجيّة عاملاً مُحدّداً يعدّ مفتاحاً لفهم الهيمنة الأميركية على العالم، سيّما علاقة الولايات المتّحدة بالعالم منذ العام 1950. في الواقع ومنذ هذا التاريخ باتت أميركا اللّاتينية تشكّل والشّرق الأوسط منطقتيّ نفوذ أساسيّتين للولايات المتّحدة ومحوريّ ارتكاز جغرافي ضروري لضمان تأمين المصالح الأميركية على المدى القريب كما البعيد.
وإن كان فوكوياما يعتبر "نهاية التاريخ" منذ بداية العام 1990 كفترة ملائمة لفرض السياسة الأميركية على العالم، فهو على ما يبدو لم يقدّر على النّحو الكافي أهمّية الحركة المعارضة للنظام الأميركية والتي هي في تزايد وتشعّب. أمّا أميركا، فسرعان ما أيقنت أنّه "لسنا جميعنا أميركيين" وبالتّالي فانّ لها أعداء أدرجتهم على لائحة "الدّول المارقة"، بمعنى آخر "الدّول السّوقيّة"، وأكثر بعد في العام 2001 حيث أمست السّياسة الأميركية الخارجيّة تميل نحو رؤية مانويّة، قاسمةً العالم بين "محور الخير" و"محور الشّر".
إنّ هذه العودة ضرورية اليوم في العام 2015، لا سيّما في الوقت الذي تعيد فيه الولايات المتّحدة تعريف سياستها الخارجيّة حول استراتيجيّة جديدة تتمحور حول الخرق الاقتصادي لبعض الدّول وعودة الدبلوماسيّة بهدف خلق تحالفات جديدة، لا سيّما مع كوبا وإيران.
تتجدّد السّياسة الخارجيّة الأميركية مع تقبّل مبدأ تعدّد الفرقاء على المدى القريب من غير أن تتخلّى عن حفظ سيطرتها. و قد حان الوقت أخيراً، بعد مرور أكثر من عشر سنوات على انقلاب العالم عام 2001، لنشهد مرّة أخرى لعبة التحالفات ما بين الولايات المتّحدة والعالم. إن كان حلف شمال الأطلسي يسمح بتعزيز القاعدة الأميركية في أوروبا وأميركا الجنوبيّة، فالولايات المتّحدة بحاجة إلى حلفاء أشدّاء في الشّرق الأوسط وأميركا اللّاتينية. وإن كان لا يزال التحالف مع كوبا أو حتّى إيران غير وارد، يجب بالتّالي التّوصّل إلى تسوية وقتيّة بحيث تضع ركائزاً لتحالف قويّ.
أمّا على صعيد كوبا فقد اختارت الولايات المتّحدة اعتماد مبدأ الدّمقرطة، فيما اختارت ضمانة اللّا تكاثر مع إيران. "إنّ ديمقراطيّة القمم" هي في طور اتخاذ مكانة من شأنها أن تزهر إذا التزم كلّ شريك بموجباته، لا سيّما الولايات المتّحدة التّي عليها الالتزام بموجباتها.
يجب بالتّالي انتظار نهاية الفصل الأوّل من عام 2016 لتقييم ملاءمة المفاوضات بين الولايات المتّحدة وإيران ولكن أيضاً بين الولايات المتّحدة وكوبا.