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La minorité albanaise en Macédoine
Je lis dans tous les journaux yougoslaves ou étrangers que la Yougoslavie fut une fiction. Je suis alors moi-même une fiction(...) et je n'existe pas.
Rada Ivekovic [1]
Le 13 août 2001 un accord est conclu à Skopje, capitale de la Macédoine, entre la guérilla albanaise de l'Armée de Libération du Kosovo (en Albanais Ushtria çlirimtare e Kosovo, UCK), et les autorités du pays. L'accord qui prévoit l'installation des troupes alliées occidentales de l'OTAN pour assurer la surveillance de l'application d'un processus de paix est considéré par certains comme une victoire pour la minorité albanaise de Macédoine[2] (23 pour cent de la population selon les estimations officielles, 40 pour cent selon les Albanais)[3].
La Constitution de la petite République ex-yougoslave sera donc modifiée et l'albanais reconnu comme seconde langue officielle. De plus, un droit de veto sera instauré sur les lois concernant la minorité albanaise et la composition ethnique de la police reflétera celle du pays. Enfin, l'enseignement supérieur en langue albanaise sera en partie subventionné par l'Etat. Cet accord doit également entraîner une amnistie pour les soldats de l'UCK enfermés dans les prisons macédoniennes. En échange, la milice albanaise devra rendre ses armes à l'OTAN. Ali Ahmeti, chef politique de l'UCK, pense que "l'UCK est ravie du déroulement du processus. Les questions qui restent se résoudront plus tard par la voie parlementaire." [4]
Les observateurs et experts occidentaux demeurent sceptiques quant à la réussite de la mission de l'OTAN. [5]Si du côté macédonien l'intérêt d'un tel accord est visible étant donné que la stabilité du pays est tributaire des liens étroits avec l'Union européenne et de son aide économique,[6] du côté de l'UCK par contre l'intérêt de l'opération « Moisson essentielle » mérite une analyse plus élaborée. Afin de permettre au lecteur de mieux comprendre le problème, un aperçu sur la minorité albanaise dans la fragile Macédoine s'impose. Tel est l'objectif de notre modeste étude. Nous aborderons dans une première partie l'histoire de la Macédoine, dans une seconde partie la situation des Albanais dans le pays.
Aperçu historique[7]
Pays d'Europe orientale, dans la péninsule des Balkans, la Macédoine est bordée au Nord par la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), à l'est par la Bulgarie, au sud par la Grèce, au sud-ouest et à l'ouest par l'Albanie. La superficie du pays est de 25 713 km_, sa capitale est Skopje.
La dénomination officielle de l'Etat de Macédoine pose elle-même un problème. Le gouvernement grec s'est opposé à la reconnaissance de ce pays par l'Union européenne aussi longtemps qu'il porterait le nom de Macédoine pour des raisons de l'histoire. En effet il existe déjà une «Macédoine» grecque et la Grèce, revendiquant l'héritage hellénistique de la région, s'oppose à ce que ce nom soit repris et refuse de reconnaître le nouvel Etat tant que son nom n'aura pas été modifié. De plus, la Grèce refuse que la république de Macédoine utilise sur son drapeau l'étoile à seize pointes, le soleil de Vergina, symbole d'Alexandre le Grand. En outre, Athènes craint que la Macédoine ne se transforme en cheval de Troie de l'ennemi héréditaire turc. Ce n'est qu'en 1995 qu'un compromis fut trouvé. En effet, le 15 septembre, un compromis gréco-macédonien (sous la pression américaine) est conclu : la Macédoine accepte de modifier son drapeau. Le pays porte désormais le nom « provisoire » d'Ancienne République yougoslave de Macédoine. En octobre 1995, le pays devient membre à part entière du Conseil de l'Europe et de la CSCE[8]; il adhère également au partenariat pour la paix mis en place par l'OTAN.
Les Macédoniens se définissent par leur langue slave, par leur religion orthodoxe avec une Eglise autocéphale. A l'intérieur des frontières vivent des minorités nationales :Turcs, Roms, Serbes - moins de dix pour cent de la population - mais surtout une minorité albanaise qui représente officiellement 23 pour cent de la population9 estimée à 2 millions d'habitants.
Le passé macédonien s'inscrit dans l'espace de la grande Macédoine à laquelle aspiraient les patriotes du XIXe siècle et qui s'étendait de côtes de l'Egée jusqu'à l'ensemble du bassin du Vardar et de ses affluents. C'est cette Macédoine là qu'avaient illustré dans l'Antiquité, le roi Philippe et son fils Alexandre le Grand. Plus tard elle fut soumise à l'autorité de Rome, puis de Byzance, enfin à celle éphémère de l'Empire bulgare et de la grande Serbie avant de subir, pendant plus de cinq siècles, la domination ottomane.
Au XIXe siècle, le réveil des sentiments nationaux des populations balkaniques sous le joug d'un Empire ottoman à l'aube de son déclin conduit à des revendications d'autonomie de plus en plus fortes et aboutit à l'indépendance de la Grèce (1832), puis de la Bulgarie et de la Serbie (1878). A partir de 1880, un mouvement en faveur de l'indépendance se développe au sein du groupe de la ligue macédonienne et le 5 novembre 1893 est créée à Salonique l'Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne (ORIM) qui organisa l'insurrection générale d'août 1903. Après l'échec de ce soulèvement, l'ORIM continua à réclamer l'indépendance de la Macédoine, tandis que d'autres souhaitaient le rattachement du pays à la Bulgarie. Pendant la première guerre balkanique, les Etats grec, bulgare et serbe arrachent la Macédoine de l'Empire ottoman. Mais un conflit entre les alliés de la veille oppose la Bulgarie à la Serbie, au Monténégro et à la Grèce et est à l'origine de la seconde guerre des Balkans. Par le traité de Bucarest (10 août 1913), l'intérieur du territoire macédonien revient à la Serbie, les régions côtières à la Grèce ; en revanche, la Bulgarie n'en reçoit qu'une petite partie : la vallée de la Strumica. Le partage de 1913 mit fin pour des décennies encore aux rêves d'indépendance.
Le démantèlement de l'Empire austro-hongrois à l'issue de la Première Guerre mondiale aboutit à la satisfaction des revendications politiques des populations slaves du Sud : le royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes, intégrant la Serbie et le Monténégro, Etats indépendants, est constitué en 1918 et prend le nom de Yougoslavie dès 1929. Au sein de cette fédération, la Macédoine devient la banovine du Vardar.
Durant la Seconde Guerre mondiale, les puissances de l'Axe envahissent et démembrent la Yougoslavie. Les forces bulgares s'approprient une grande partie de la Macédoine yougoslave et le reste du pays est partagé entre les Allemands, les Italiens et les Hongrois. Le Comité antifasciste de libération de la Macédoine lutte aux côtés de Tito, organisateur de la résistance yougoslave et chef du gouvernement révolutionnaire clandestin, constitué à son initiative dès 1941.
En novembre 1944, les représentants de tous les mouvements de résistance de Yougoslavie décident que la Macédoine yougoslave fera partie de la future Fédération yougoslave. La Macédoine yougoslave devient donc officiellement l'une des six composantes de la République populaire fédérative de Yougoslavie proclamée en 1946. Tito est le premier à reconnaître la Macédoine yougoslave comme une entité politique à part entière. Il favorise la création d'une Eglise orthodoxe macédonienne indépendante et la diffusion de la langue macédonienne.
En 1980, la mort du maréchal Tito crée un vide politique en Yougoslavie. Durant les années qui suivent, les différentes républiques yougoslaves connaissent une résurgence du nationalisme, longtemps étouffé sous le régime titiste, qui exacerbe le mécontentement croissant envers le gouvernement fédéral. En 1989, la république de Macédoine admet le multipartisme. En 1990, quand le Parti communiste renonce à ses pouvoirs au niveau fédéral, les républiques commencent à œuvrer en faveur d'une plus grande indépendance. Des élections libres se déroulent en décembre 1990 et en janvier 1991, le nouveau Parlement élit Kiro Gligorov à la présidence de la Macédoine.
En juin 1991, la Croatie et la Slovénie déclarent officiellement leur indépendance et sont reconnues par la communauté internationale. En Macédoine, un référendum sur l'indépendance a lieu le 8 septembre 1991; 95 p. 100 des votants y sont favorables, mais le boycott par les Serbes et les Albanais de Macédoine conduit à une grande tension entre la république et le gouvernement fédéral, sous présidence serbe. Le conflit armé est évité de justesse et le 17 septembre, la Macédoine proclame son indépendance.
Ainsi les événements de 1989-1991 ont permis l'émergence d'un Etat macédonien souverain, mais, à voir les indicateurs économiques, le pays s'apparente plus au tiers monde qu'à l'Europe.
C'est la Macédoine qui a été la plus déstabilisée durant la crise du Kosovo (23 mars-juin 1999), parce que la plus fragile. La population albanaise et aussi macédonienne a des liens familiaux, claniques, économiques, politiques et culturels très étroits avec les Kosovars. La Macédoine doit absorber, souvent avec réticence, un afflux massif de réfugiés albanais du Kosovo (plus de 300 000 entre fin mars et début juin 1999) chassés par la politique de purification ethnique conduite par les forces serbes. De 23 % la population d'Albanais est passée à 45 %, d'où un déséquilibre démographique qui risquait à tout moment de se transformer en conflit inter-ethnique. D'autant que parmi les 20 000 premiers réfugiés se sont glissés 5 000 miliciens de l'U.C.K., dont une centaine ont été exfiltrés des camps de réfugiés par les forces spéciales de l'O.T.A.N. sans l'aval des autorités de Skopje. C'est pour cette raison que la police macédonienne a fermé plusieurs fois la frontière et tenté de filtrer le flot de réfugiés. En outre, cette même police a découvert près de 100 tonnes d'armes de l'U.C.K. cachées dans les villages albanophones. La majorité de la population macédonienne (d'origine slave) manifeste son soutien aux Serbes et son opposition aux frappes de l'OTAN, ce qui entraîne un accroissement de la tension entre les Slaves et les Albanais de Macédoine.
Bien avant le début du conflit, le président Kiro Gligorov avait demandé l'ouverture d'un corridor humanitaire afin que les réfugiés kosovars ne restent pas en Macédoine mais ne fassent qu'y transiter vers l'Albanie, justement pour éviter des problèmes ethno-démographiques. Or, en novembre 1998, l'opposition a remporté les élections législatives et le nouveau Premier ministre, Ljupco Georgievski, a adopté systématiquement la position inverse de celle du président. La fin du conflit, en juin 1999, et le retour rapide des réfugiés au Kosovo a évité l'explosion du pays. Mais les cicatrices sont profondes et le fossé se creuse entre les Albanais d'un côté et les Macédoniens de l'autre, soutenus par les Serbes et les Rom. A noter que plus de 20 000 Rom kosovars ont trouvé refuge en Macédoine, à Sutka, la plus grande ville tzigane du monde, située dans la grande banlieue de Skopje.
Les Albanais en Macédoine
Lors du tracé des frontières de l'Albanie en 1912-1913, la moitié du peuple albanais est restée hors des limites du jeune royaume et s'est trouvé intégrée aux royaumes de Serbie, de Grèce et du Monténégro, à l'Empire ottoman, puis aux royaumes de Yougoslavie et de Grèce, ensuite, à la république fédérative socialiste de Yougoslavie et aujourd'hui, à la Fédération yougoslave et à la république de Macédoine. Quatre-vingts ans plus tard, un Albanais sur deux vit hors de la République d'Albanie. Le tracé du nouvel Etat laissait à l'extérieur, sur ses flancs nord et est, de nombreuses populations albanaises. A l'inverse, il y intégrait des minorités non négligeables, grecque au sud et macédonienne au sud-est.[9]
Durant la première guerre mondiale, l'Albanie est occupée par les armées italienne, autrichienne, serbe, française et grecque. En 1939, le pays est envahi par l'Italie mussolinienne: c'est de là que les troupes fascistes attaquent la Grèce, le 28 octobre 1941. L'armée grecque refoule les Italiens, mais surtout occupe l'Epire albanaise, où la minorité grecque l'accueille en libératrice. Après la victoire de l'Axe dans les Balkans, l'Italie et l'Allemagne avaient créé la Grande Albanie, regroupant l'Albanie dans ses frontières de 1912-1913, l'Epire grecque, la Macédoine occidentale et le Kosovo yougoslaves. A la Libération, les différends perdurent.
En Yougoslavie, la fraternité communiste ne résiste pas longtemps aux antagonismes nationaux. Si le Kosovo fait officiellement figure de pont entre les deux Républiques socialistes, le leader yougoslave Josip Broz Tito espère, lui, faire de l'Albanie la sixième République de la Yougoslavie. Le schisme Tito-Staline de juin 1948 sauve Enver Hodja et l'indépendance de l'Albanie. Désormais, la nation albanaise connaît un développement séparé.
Entre Albanie et Yougoslavie, la frontière est hermétiquement close de 1948 à 1990. Les Albanais du Kosovo et de la Macédoine profitent du cadre titiste pour développer leurs institutions et leur culture, avec la possibilité de sauvegarder leurs traditions religieuses et d'émigrer en Occident. En revanche, dans l'Albanie officiellement athée depuis 1967, toute contestation conduit au bagne. En Yougoslavie, les Albanais manifestent violemment pour leurs droits en 1968 et 1981.
La mort de Tito en 1980, l'arrivée au pouvoir de Milosevic en Serbie en 1987, la chute du communisme à Tirana et l'indépendance de la Macédoine en 1991 vont changer la donne. Les Albanais de l'ex-Yougoslavie s'organisent en partis politiques à base ethnique et lient des relations étroites avec les nouvelles forces politiques de Tirana. Rapidement, l'idée de grande Albanie retrouve une nouvelle jeunesse.
Le 15 janvier 1998 l'UCK publie son communiqué numéro 41. Elle y déclare qu'elle porte la guerre en « zone 2 », c'est-à-dire en République de Macédoine[10]. En échec au Kosovo, l'UCK a choisi de relancer régionalement son action pour une Grande Albanie. Elle trouve un écho dans les frustrations de la forte minorité albanaise de Macédoine, malgré une égalité en droit formelle. Il ne faut pas oublier de mentionner que le chef de l'UCK à l'époque Bardhyl Mahmuti n'est pas Kosovar mais Macédonien (de la minorité albanaise) de la localité de Tetovo[11]. Une Armée de libération nationale de Macédoine (UCKM) dans le nord-ouest de la Macédoine apparaît le 20 janvier 2000. Le 16 février 2001, l'UCKM commence à occuper quelques villages albanophones reculés, adossés aux frontières de la Macédoine, du Kosovo et de la Serbie. Les radicaux espèrent ainsi rééditer les « exploits » de l'UCK et forcer les Occidentaux à rouvrir la question albanaise. Dès le 15 mars, l'UCKM a porté les combats jusque dans les faubourgs de Tetovo, la deuxième ville du pays. Pour comprendre ce phénomène if faut remonter aux origines de la crise du changement politique des Etats Unis dans les Balkans.[12]
Le 10 juin, lendemain du départ des forces serbes du Kosovo, le Conseil de sécurité de l'ONU, avec la résolution 1244, place la province sous contrôle international tout en la laissant sous souveraineté yougoslave. Durant ces six mois de combats, l'UCK n'a subi que des revers militaires, perdant des centaines de combattants. Mais son héroïsme romantique lui a valu l'afflux de volontaires : un millier d'Albanais de Macédoine et quelques centaines du sud de la Serbie, sans compter les militants venus d'Europe occidentale.[13]
Une partie de l'UCK se transforme, le 21 septembre 1999, en Corps de protection du Kosovo (TMK). Officiellement civil, celui-ci se comporte en milice de M. Hashim Thaçi, premier ministre autoproclamé. Auréolés de leur victoire, les guérilleros investissent le champ politique. Le 15 octobre 1999, M. Thaçi fonde le Parti du progrès démocratique du Kosovo, qui, quelques mois plus tard, prend le nom de Parti démocratique du Kosovo (PDK), se présentant comme le parti de l'UCK
Le Mouvement populaire albanais (LPK), qui fut l'ossature politique de l'armée de libération, accepte de se fondre dans cette nouvelle formation. Ses militants veillent à la rigueur doctrinale : indépendance de jure du Kosovo et soutien aux Albanais de Serbie, de Macédoine et du Monténégro.[14]
Pragmatique, M. Thaçi abandonne ses slogans pan-albanais, contre l'avis du LPK. Membre de ce dernier en Suisse, puis général de l'UCK, M. Ramush Haradinaj quitte le PDK en mars 2000 et fonde l'Alliance pour l'avenir du Kosovo (AAK). Celle-ci tente de regrouper les mécontents dont des Albanais militants pour la libération du sud de la Serbie et de la Macédoine occidentale. A la veille des municipales du 28 octobre 2000, l'AAK apparaît comme le parti des radicaux. Mais l'échec de l'AKK aux élection législatives (8 % des suffrage) amena les adeptes du LPK à reprendre leur indépendance.[15]
Le 22 juillet 2000, le mouvement organise sa cinquième assemblée générale, à Pristina. Son programme est le suivant: « Une partie de la nation reste encore sous le joug de l'oppresseur en Serbie, en Macédoine et au Monténégro... La question albanaise dans les Balkans n'est toujours pas résolue, car la situation des Albanais de Macédoine, du Monténégro ou du Kosovo oriental est identique à celle d'un peuple opprimé... Le peuple albanais du Kosovo doit s'orienter vers l'indépendance et former un Etat qui comprendra tous les territoires occupés où les Albanais sont en majorité.[16]
La direction est renouvelée. Le poste de secrétaire général de la branche extérieure est confié à M. Fazli Veliu. Albanais de Macédoine, dirigeant politique encore clandestin de l'UCKM, ce dernier ne se dévoilera que le 11 mars 2001. Le LPK redevient ainsi l'ossature politique des adeptes de la grande Albanie. Sachant que le gouvernement socialiste de Tirana dénonce ouvertement cette aventure, il s'oriente vers un « grand Kosovo », rassemblant tous les Albanais de l'ex- Yougoslavie.[17]
Mais, le 5 octobre 2000, M. Milosevic est remplacé par le président démocratiquement élu, M. Vojislav Kostunica. Enfin, le 23 décembre, les démocrates remportent haut la main les élections législatives de Serbie. Le repoussoir serbe, qui avait fait basculer les Occidentaux dans le camp de l'UCK, n'existe plus.[18] D'autant plus que lors des dernières élections législatives en Albanie (juillet 2001), les thèmes relatifs à la Grande Albanie aux Albanais du Kosovo et de la Macédoine ont été complètement ignorés durant les campagnes électorales.[19] Ce qui n'était pas le cas lors des élections de 1992 et 1997. Ainsi pour les Albanais le projet d'une grande Albanie est devenu une chimère.[20] C'est pourquoi les radicaux choisissent la politique du pire, espérant relancer la question albanaise. Leur but : déstabiliser la Serbie et la Macédoine pour obtenir un « Dayton albanais » [21]
Les Albanais de Macédoine jouissent d'un statut de minorité reconnue, avec ses propres partis politiques, ses journaux, ses radios, ses télévisions, ainsi que l'enseignement dans sa langue du primaire jusqu'au secondaire. N'ayant pas d'université, ils ont créé en 1995 l'université libre de Tetovo, dont les diplômes ne sont pas reconnus. Ce différend a été résolu au début de 2001 : le ministère de l'éducation nationale devrait mettre en place une université trilingue à Tetovo (albanais, macédonien, anglais).[22] Les rapports sur les droits de l'homme établis par le département d'Etat américain ont vu d'un bon œil le statut des albanais en Macédoine et leur intégration dans la société[23].
Les partis politiques macédoniens ont toujours pris soin de travailler avec leurs homologues albanais. C'est ainsi que, de 1991 à 1998, les modérés du Parti de la prospérité démocratique (PPD) ont collaboré avec les socialistes. Suite à l'alternance politique de 1998, les autonomistes du PDA sont entrés dans la coalition conduite par les nationalistes macédoniens du VMRO, une reconstitution de l'historique ORIM. Les Albanais ont donc toujours disposé de cinq ministres. Actuellement, ils ont aussi nombre de secrétaires d'Etat, d'ambassadeurs et le numéro deux des services de renseignement est un Albanais.
Mais il existait des discriminations d'ordre économique et social. longtemps, les Albanais étaient, avec les Roms, en bas de l'échelle sociale. Depuis une dizaine d'années, c'est moins le cas. Grâce à l'argent des travailleurs émigrés mais aussi des bénéfices issus de différents trafics (drogue, armes, prostitution), la Macédoine occidentale est prospère, et Tetovo la ville la plus riche du pays.[24]
Adeptes de la Grande Albanie, ou du moins d'un grand Kosovo, les radicaux du LPK et les soldats perdus de l'UCK ont exporté la violence dans deux pays démocratiques (Serbie et Macédoine), espérant le rattachement du sud de la Serbie et de la Macédoine occidentale au Kosovo. Dans le contexte balkanique actuel, une telle stratégie est vouée à l'échec. Mais cette politique extrémiste radicalise une frange de la population albanaise, qui pense que son salut ne peut venir que de l'autonomie territoriale, prémisses de nouveaux démembrements.[25]
Conclusion
Dans son article du Monde Diplomatique de juillet 1992 Catherine Samary se demande si la diversité des identités, des histoires et des cultures rendait-elle le projet yougoslave artificiel. « A-t-elle empêché Sarajevo d'exister, si belle dans son mélange culturel? Ou est-ce la volonté de créer des Etats-nations ethniquement homogènes qui l'a détruit? L'hypothèse aujourd'hui ressassée que les peuples de l'ancienne Yougoslavie ne pouvaient vivre ensemble mérite d'être examinée de plus près. » Et l'auteur de poursuivre : « Derrière le mot de Yougoslavie, il y a une histoire, des systèmes socio-économiques et politiques qui ont évolué dans le temps, et dans lesquels les rapports entre Serbes et Croates, mais aussi entre Serbes et Albanais, étaient cruciaux. »[26]
Le démembrement de la Yougoslavie a conduit à la naissance de plusieurs Etats. Aujourd'hui ces Etats sont à leur tour menacés d'éclatement. Il n'est pas impossible que des entités culturellement différentes puissent coexister ensemble. L'expérience libanaise l'a bien démontré. Dans ce pays 18 communautés coexistent. Souvent on a confondu les deux termes libanisation et balkanisation. Mais alors que le premir est synonyme de coexistence le second implique la division. Mohammed Sammak l'a bien dit dans un article publié dans le quotidien libanais d'expression arabe Al-Mustaqubal. Faisant une distinction entre ces deux notions, il fait appel à tous les mouvements séparatistes dans le monde (dans les Balkans, en Irlande, en Corse, ...) d'étudier l'expérience libanaise [et de tirer la leçon de sa guerre dite civile ] afin qu'elle serve de modèle de coexistence entre deux entités quels que soient leurs différends. [27]
[1] Ida MARA, « Une paix si peu assurée », Courrier International, 17 août 2001
[2] Christophe CHICLET et Bernard LORY, La République de Macédoine. Nouvelle venue dans le concert européen, Paris, l'Haramttan, 1998.
[3] Ida MARA, op.cit
[4] Joseph FITCHETT, "NATO stresses limited objectives in Macedonia", International Herald Tribune, 25 août 2001
[5] Ibid
[6] Dans cet aperçu nous nous sommes inspiré du l'ouvrage collectif sous la direction de Chritophe CHICLET et Bernard LORY La République de Macédoine, nouvelle venue dans le concert européen, op.cit., ainsi que des trois encyclopédies Americana (édition 1997), Encarta (version française, édition 2001) et Universalis (édition 2001).
[7] La Conférence sur la sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) a été initiée en 1975 par la conférence d'Helsinki. Elle constitue un ensemble de négociations sur l'Europe menées entre pays occidentaux (Europe occidentale, Etats-Unis, Canada) et pays de l'Est (URSS et Europe orientale). En décembre 1994 la CSCE s'est transformé en organisme permanent, l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe)
[8] Recensement de 1994 par l'Union européenne, Cf. www.Macedonia.org
[9] Christophe CHICLET, « La question albanaise, autre piège des balkans » , Le Monde Diplomatique, décembre 1996
[10] Christophe CHICLET, « La Macédoine en danger d'éclatement », Le Monde Diplomatique, janvier 1999
[11] Patrick DENAUD et Valérie PRAS, Kosovo, Naissance d'une lutte armée UCK, Paris, l'Harmattan, 1999
[12] Christophe CHICLET, « L'UCK cherche une revanche en Macédoine », Le Monde Diplomatique, avril 2001
[13] Ibid
[14] Ibid
[15] Ibid
[16] Ibid
[17] Ibid
[18] Ibid
[19] Mohammed M. Al-ARNAOUT, « les élections alabanises rendent le projet de Grande Albanie chimérique » (en arabe), Al-hayat, 14 juillet 2001
[20] Ibid
[21] L'accord de Dayton du 23 novembre 1995 maintient la Bosnie Herzegovine dans ses frontières internationalement reconnues, mais entérine le partage de celle-ci en deux entités : La Republika Srbska et la Fédération croato musulmane
[22] Christophe CHICLET, « L'UCK, une revanche en Macédoine », op.cit.
[23] www.macedonia.org
[24] Christophe CHICLET, « L'UCK, une revanche en Macédoine », op.cit.
[25] ibid
[26] Catherine SAMARY, op.cit
[27] Mohammed SAMMAK, « Libanisation et Balkanisation », Al-Mustaqbal, 7 juillet 2001