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La géopolitique de l’eau dans le conflit israélo-palestinien
Depuis les temps les plus reculés, l’homme a dû résoudre le problème de ses besoins en eau. Les conflits géopolitiques se sont multipliés pour défendre cette ressource vitale, distribuée très inégalement.
Classé par la Banque mondiale comme l'une des régions les plus pauvres en ressources naturelles renouvelables en eau, le Moyen-Orient présente des disparités considérables. Les données chiffrées sont pauvres ou sujettes à caution mais ce qui est certain, c'est que deux pays, la Turquie et le Liban, peuvent être considérés comme les châteaux d'eau de cette zone. Il faut ajouter que le droit international dont, au demeurant, Israël a tendance à en s'affranchir, pêche par une imprécision sous-tendue par des doctrines divergentes.
C'est la Turquie où le Tigre, l'Euphrate et leurs grands affluents prennent leurs sources, qui capitalise les ressources les plus abondantes. En vertu du traité de Lausanne du 24 juillet 1924, La Syrie et l'Irak, issus du démembrement de l'Empire ottoman, s'appuient sur la théorie des droits acquis pour exiger un partage équitable des eaux.
Dans cette région, l’eau représente un enjeu primordial. Le problème affecte tous les pays de la région sans exception, même si les situations diffèrent d’un cas à l’autre.
“Les 2/3 des pays arabes disposent de moins de 1000 m3 d’eau par habitant et par an, ce qui est considéré comme le seuil de pénurie”, explique un rapport de la ligue arabe.
Les tensions s’aggravent, d’autant plus que les frontières sont pour la plupart contestées et que les fleuves les plus importants traversent successivement plusieurs pays.
L’approvisionnement en eau demeure donc un des enjeux du conflit entre Israël et les Etats arabes voisins, à savoir le Liban, la Syrie, la Jordanie et surtout les territoires palestiniens.
Il devient ainsi urgent de trouver des solutions, notamment en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien. Sans le problème de l’eau, ce dernier aurait sans doute déjà été réglé, mais ce problème est surtout celui de la cohabitation de deux peuples en accroissement démographique, dans une région qui manque d’eau.
De là se posent les questions suivantes:
Pourquoi la question de l’eau a-t-elle dans cette région cette dimension géopolitique?
Une meilleure gestion de l’eau peut-elle s’instaurer entre les Etats du Moyen-Orient?
Avant de commencer, dressons une chronologie évolutive (que l’on retrouvera dans le développement) de la question de l’eau, pour les principaux pays concernés, à savoir, Israël et les territoires palestiniens, le Liban, la Syrie et la Jordanie.
Principaux repères chronologiques
Début du XXe siècle-1947 : Les fermiers juifs ont légalement élaboré des moyens d'approvisionnement en eau et initié des pompages dans ce qui deviendra Israël.
1948 : Israël continue de recourir de manière importante à l'aquifère de montagne. Grâce aux puits creusés dans son sous-sol et à l'intérieur de ses frontières, notamment pour satisfaire les besoins d'une population en très forte croissance, il bénéficie de 80% des eaux de cet aquifère.
1964 : Grâce au grand conduit national, Israël peut, à partir des pompages dans le lac de Tibériade, interconnecter les eaux sur tout son territoire, notamment le nord du désert du Néguev valorisé par l'irrigation. La Jordanie utilise le Yarmouk, un affluent du Jourdain, pour alimenter le canal du Ghor et favoriser l'agriculture irriguée dans la vallée de ce fleuve. La majorité de l'eau consommée l'est pour satisfaire les besoins de cette agriculture irriguée : 60% pour Israël et 70% pour la Jordanie.
1967 : A la suite de la guerre des Six Jours provoquée par la décision du dirigeant égyptien Nasser de bloquer le détroit de Tiran, Israël conquiert la Judée-Samarie et la bande de Gaza. L'Etat hébreu maîtrise une part plus importante des ressources en eau.
1970-1980 : Selon l'hydrologue Abraham Mellul, Israël veille à mieux gérer l'eau par des méthodes sophistiquées d'irrigation, de fertilisation, etc. Il a également amélioré la desserte des Territoires en eau : il a étendu le système d'adduction d'eau de la région Sud d'Hébron, créé de nouveaux puits près de Jénine, Naplouse et Tulkarem, fourni de nouveaux systèmes d'adduction d'eau à plus de 60 villes arabes sur la Rive occidentale, et restauré les systèmes vétustes.
Années 1980 : Le Moyen-Orient souffre d'une sécheresse exceptionnelle qui perdure au début du XXIe siècle. Le niveau du Jourdain et de la mer de Galilée atteint des seuils dramatiquement bas. Les responsables israéliens ont donc réduit le forage de nouveaux puits, notamment en Judée-Samarie. Une surexploitation risquerait en effet de provoquer l'infiltration d'eau salée dans des nappes phréatiques alimentant Israéliens et Palestiniens, et donc la perte des ressources en eau fraîche. Le danger est particulièrement vif car les fermiers arabes de Judée-Samarie disposent d'environ 100 sources et 300 puits surexploités. Israël ne prélève pas d'eau dans les nappes plus accessibles utilisées par les fermiers arabes. Il a donc creusé des puits dans des aquifères nouveaux et profonds[1].
Fin 1991 : La Syrie a fait échouer une conférence mondiale qui devait évoquer les problèmes de l'eau dans cette région.
Janvier 1992 : La Syrie, la Jordanie et les Palestiniens ont boycotté les discussions multilatérales à Moscou au cours desquelles un groupe devait travailler sur le problème de l'eau. Après les accords d'Oslo (1993) : Les Palestiniens ont été intéressés par une coopération sur l'eau. Lors de la réunion d'une commission multipartite à Oman (1994), une proposition israélienne a été votée : elle tend à rendre plus efficaces les systèmes de distribution d'eau dans les communautés de taille moyenne sur la Rive occidentale du Jourdain, à Gaza, en Israël et dans les autres pays de la région. Le traité de paix entre la Jordanie et Israël (1994) règle le problème
de l'eau entre ces deux Etats en prévoyant une coopération. Celle-ci est aussi précisée dans l'accord intérimaire de Taba (1995) liant Israël et l'Autorité palestinienne.
Depuis 2000 : Israël continue de transférer chaque année à l'Autorité palestinienne la quantité d'eau prévue et songe à l'accroître. Lors même qu'il souffre d'une grave pénurie d'eau et qu'il a restreint sa consommation d'eau, il a respecté les stipulations de l'accord intérimaire israélo-palestinien prévu par les accords d'Oslo. L'Autorité palestinienne dispose de la pleine juridiction sur l'eau et Israël a approuvé le forage de nouveaux puits. Tous deux ont institué des patrouilles communes pour empêcher les vols d'eau, etc. En 2001, malgré l'Intifada II et la grande sécheresse, et conformément aux accords, Israël, via la société nationale Mekhorot– administration chargée de l'exploitation et de la distribution de l'eau, de la localisation de toutes les sources naturelles d'eau douce ainsi que de la dessalement des eaux de mer et des eaux saumâtres -, a fourni près de 35 Mns de m3 dans les Territoires, une quantité pompée dans les nappes phréatiques israéliennes .
L'agriculture absorbe près des deux tiers de l'eau consommée en Israël. Le déficit cumulé actuel de ressources d'eau renouvelables dans l'Etat juif, s'élève à 2 Mds de m3, soit le montant de la consommation annuelle nationale. Selon Uri Sagie, président de Mekhorot, le déficit israélien annuel en eau est 400 Mns de m3, et il va en s'accroissant[2].
I/ L’eau, une ressource rare
Les conditions climatiques, mais aussi la répartition de la population, créent des pénuries, qui font de l’eau une “ressource rare” dans certaines régions du monde, en Israël, en Syrie, en Jordanie… notamment, où des difficultés importantes se manifestent, du fait des faibles précipitations.
En effet sur ces terres situées aux marges de l’aridité, la recherche et la maîtrise de l’eau sont une préoccupation majeure. L’irrigation doit pallier l’insuffisance des précipitations. L’isohyète 300 mm marque la limite des régions où la culture de céréales est possible sans recours à l’irrigation.
Il faut aussi remédier à un régime des pluies peu favorable à l’activité agricole, même lorsque le total annuel est satisfaisant: elles tombent en saison froide, quand la végétation en a le moins besoin: saison humide et saison végétative ne correspondent pas.
Enfin, l’apport d’eau est indispensable pour atténuer les irrégularités de la pluviosité selon les années.
L’irrigation est donc partout nécessaire, si l’on veut intensifier ou diversifier les systèmes de culture.
Jusqu’à une date récente, l’eau était pour l’essentiel destinée au secteur agricole. L’essor démographique, la croissance des villes, le développement des activités industrielles et touristiques, ont fait apparaître de nouvelles demandes. La mobilisation de l’eau est désormais un problème d’une extraordinaire acuité.
En Israël et les territoires palestiniens, les conflits pour l’eau opposent pour l’essentiel trois entités territoriales:
- Israël (5.5 millions d’habitants),
- les Territoires Occupés (Gaza, Cisjordanie – 3 millions d’habitants) dont une partie relève de l’Autorité Palestinienne,
- la Jordanie (4.5 millions d’habitants).
Les ressources en eau ont une double origine:
- le Jourdain, qui s’étend sur Israël, la Jordanie, les Territoires Occupés, mais aussi le Liban et la Syrie ; il a un débit annuel moyen de 1.4 km3,
- deux nappes souterraines: l’une sous les collines de Cisjordanie (660 millions de m3), et l’autre étirée de Haïfa à Gaza (300 millions de m3).
1. Les disponibilités en eau au Moyen-Orient
En guise de comparaison, avec 2000 m3 d'eau par an et par personne, l'eau est considérée comme abondante. Or on peut voir à travers ces chiffres, que les ressources sont extrêmement limitées et que donc la pénurie règne ; la moyenne est au grand maximum de 200 m3 / an / habitant.
On distingue dans cette perspective 2 catégories de pays:
o les pays fortement déficitaires, comme Israël et la Palestine
o les pays menacés de pénurie, comme le Liban et la Syrie, l’Irak et la Turquie.
Déjà la Jordanie, Israël, la rive ouest du Jourdain, Gaza, la péninsule arabe en sont arrivés au stade où la totalité des eaux de surface et des eaux souterraines est exploitée, notamment par Israël. En 2001, l’ambassadeur d’Israël en France a déclaré: “la question de l’eau est au centre de tout le processus de paix. Elle explique bien des guerres qui ont lieu dans la région depuis 1948”.
Dans le cadre des négociations entre Israéliens et Palestiniens, l’eau, clef de survie en zone aride, est loin de représenter un simple élément technique du dossier. Elle constitue une question aussi épineuse que les frontières, les réfugiés ou Jérusalem. Le Jourdain est l’artère vitale d’Israël. Son existence est primordiale du fait de l’extension de l’agriculture irriguée dans le Néguev, l’expansion industrielle et l’accroissement démographique, comme on l’a déjà dit.
Dans un tel contexte, il est clair que pour Israël, la formule “la terre contre la paix” est limitée par une condition: conserver le contrôle de l’eau.
Comment partager une ressource aussi rare entre Israël, créé en 1948, les Palestiniens et les Etats arabes voisins?
Aucun des nombreux plans de partage de ceux proposés n’a été accepté par tous.
Avant de s’attaquer de plein fouet à la question, il serait intéressant de rappeler quelques éléments historiques.
Il faut effectivement rappeler que l'eau a toujours été au coeur des préoccupations du mouvement sioniste. Dès 1919, le président de l'Organisation mondiale sioniste, Haïm Weizmann, adressait au premier ministre anglais Lloyd George la lettre suivante : "Tout l'avenir économique de la Palestine dépend de son approvisionnement en eau... Nous considérons qu'il est essentiel que la frontière Nord de la Palestine englobe la vallée du Litani sur une distance de près de 25 miles, ainsi que les flancs ouest et sud du mont Hermon". La France qui avait pour zone d'influence la Syrie et le Liban aux termes des accords Sykes-Picot s'opposera à cette demande. La question de l'eau dans la région devait alors continuer à se poser avec acuité. Si le Liban dispose de ressources appréciables en eau douce avec 3000 m3 par an et par personne, la Syrie est assez bien pourvue avec 1200 m3 sans dépendre du Golan. La pénurie frappe en fait la Jordanie dont la consommation de 300 m3 par an et par habitant est largement en dessous du seuil critique et la Palestine mandataire qui tire ses ressources des nappes littorales, des aquifères de Cisjordanie et du Jourdain. Le Jourdain a ses sources sous le mont Hermon et rejoint le lac de Tibériade après un parcours encaissé. Il y déverse environ 560 millions de m3 par an. Il reçoit ensuite plusieurs affluents, dont le Yarmouk au débit non négligeable de 500 millions de m3 l'an. Après cette confluence, le débit du Jourdain est de l'ordre de 500 millions de m3. Avant 1967, le contrôle de la zone allant des piémonts du mont Hermon au confluent du Jourdain et du Yarmouk en passant par le lac de Tibériade est essentiel pour l'approvisionnement en eau de l'Etat hébreu. Face aux risques de crises qu'entraînent les prétentions des pays riverains sur les ressources de cette zone, le président Eisenhower envoie son conseiller Johnston pour établir un plan de partage. Ce dernier propose la répartition suivante :
En hm3 Liban Syrie Jordanie Israël Total
Hasbani 35 35
Banias 20 20
Jourdain 22 100 375 197
Yarmouk 90 377 25 492
Ghor 243 243
Total 35 132 720 400 1287
% 2,70 10,25 56,00 31,05 100
Source : Georges Mutin : L'eau une ressource rare. In Maghreb-Moyen-Orient - Mutations. Sedes, 1995[3].
2. Répartition des eaux des principaux fleuves du Moyen-Orient
Mais la Ligue arabe rejette cette répartition. La Jordanie entreprend alors la construction du canal du Ghor qui longe le Jourdain et qui détourne 175 millions de m3 du Yarmouk. Le canal est aussi ravitaillé par les wadis adjacents et par le lac de retenue du barrage du roi Tahal sur la Zarqa. De leur coté, les Israéliens lancent le National Water Carrier qui, partant du lac de Tibériade où sont pompés 400 millions de m3 par an, irrigue tout le pays jusqu'au Néguev.
En 1967, Gamal Abdel Nasser bloque le détroit de Tiran. Tel Aviv considère qu'il s'agit d'un casus belli et engage des hostilités préventives qui mettront les armées arabes à genoux en six jours. Mais la préoccupation de l'approvisionnement en eau n'est pas absente des opérations. Les pays arabes ont en effet décidé de détourner les eaux du cours supérieur du Jourdain vers le Yarmouk, mais en occupant le Golan, les Israéliens interdisent la réalisation du projet. Mieux encore, ils contrôlent désormais deux sources du Jourdain ainsi que le triangle du Yarmouk. Cependant, leur gain le plus important au point de vue hydraulique, c'est la conquête de la Cisjordanie dans les tréfonds de laquelle se trouvent trois grands aquifères.
Précisons tout de suite qu'il s'agit de ressources en principe renouvelables, mais pas à l'échelle du temps humain, alimentées par les pluies qui tombent sur les collines de Judée et de Samarie dont l'altitude peut avoisiner 1000 mètres. Bon an mal an, la pluviosité est de 500 à 700 millimètres. Cet ensemble de nappes est constitué de l'aquifère occidental dont la capacité serait de l'ordre de 350 millions de m3 par an, dont 40 d'eau saumâtre. Originellement, il était exploité par des galeries qui captaient les eaux à la source et les conduisaient en terrain libre. Les colons juifs ont intensifié l'exploitation de cette nappe en creusant des puits, tout en maintenant les méthodes traditionnelles. Aujourd'hui, le drainage aboutit en deçà de la Ligne verte, c'est à dire à l'intérieur des frontières d'avant 1967. L'aquifère oriental est plutôt utilisé par l'agriculture palestinienne. D'une capacité de 330 millions de m3 par an, il est utilisé à hauteur de 200 millions de m3. Enfin, l'aquifère Nord qui se situe du coté de Naplouse a une capacité de 130 millions de m3 et est traditionnellement utilisé par les Palestiniens. Les premiers colons juifs du Yichouv l'ont aussi exploité.
Immédiatement après leur conquête, les Israéliens ont mis en place une législation discriminatoire quant à l'exploitation de l'eau. En pratique, le forage de puits par les Palestiniens est soumis à des autorisations qui ne sont données qu’avec grande restriction. L'eau, propriété de l'Etat qui a appliqué ses lois en la matière aux territoires occupés, est achetée au prix fort, celui de l'eau potable, par les agriculteurs palestiniens pour les besoins de l'irrigation. En fait, le prix de l'eau agricole est quatre fois plus élevé pour les Palestiniens que pour les Israéliens ! A Gaza, la situation est plus dramatique encore car l'aquifère côtier surexploité s'infiltre maintenant d'eau de mer.
Compte tenu de la poussée démographique, migratoire ou non, et de l'urbanisation, ce sont 800000 à 1 milliard de m3 qu'Israël doit trouver dans les prochaines années, alors que les deux tiers de ses besoins sont satisfaits par des apports extérieurs à la Ligne verte : un tiers de la zone du lac de Tibériade et un autre tiers de la Cisjordanie et de Gaza. Selon un récent rapport de la compagnie Mekhorot qui est chargée de la distribution en eau, il manquera dès l'année prochaine 90 millions de m3 d'eau potable, ce qui obligera à continuer les pompages dans l'aquifère occidental de Cisjordanie et la nappe de Gaza[4]. Or, ces deux aquifères ont atteint des étiages dangereusement bas, celui de Gaza étant par surcroît pénétré d'eau de mer comme nous l'avons déjà indiqué. Et des pompages supplémentaires dans le lac de Tibériade risqueraient d'aviver les sources d'eau chaude saumâtre qui débouchent dans ses fonds. Le pire, c'est qu'à brève échéance, Israël ne dispose guère d'autres solutions pour pallier la pénurie que le rationnement. Mais même une coupe de 50 % dans l'approvisionnement de l'agriculture ne devrait pas permettre de faire face aux besoins urbains en eau potable.
L'urgence, dit le rapport de Mekhorot, c'est de mettre en service des unités de dessalement de l'eau de mer, avec pour objectif une production de 100 millions de m3. Mais à plus long terme, suggère-t-il, c'est peut-être une nouvelle orientation de l'agriculture qui s'imposera, avec la suppression des cultures d'agrumes très consommatrices d'eau, et en fin de compte, une agriculture réduite à sa plus simple expression qui ne pourra garantir l'indépendance alimentaire du pays. Fin du mythe sioniste du retour à la terre, mais aussi question de sécurité.
Toujours est-il qu'après avoir pillé l'eau de Cisjordanie, pour n'avoir pas envisagé la question autrement qu'en termes d'hégémonie et d'occupation, les Israéliens vont être contraints dans l'avenir à pomper dans les aquifères de la Rive occidentale, avant que les usines de dessalement d'eau de mer ne soient opérationnelles. Certes, le document Clinton prévoit que seuls les blocs de colonies proches de la Ligne verte seront annexés, en échange de 3 % du territoire israélien. Mais ce sont précisément ces implantations qui se trouvent à l'Ouest de la ligne de crête qui peuvent récupérer les eaux de la nappe occidentale. On voit mal les Israéliens renoncer à cette ressource et par là même à remettre totalement en cause leur contrôle sur la Cisjordanie où se situent au demeurant d'autres petites implantations. Mais on voit mal aussi les Palestiniens abandonner leur souveraineté sur les tréfonds d'autant que d'après les plans israéliens, l'accès au Jourdain leur est barré. Faute d'avoir compris que la sécurité de l'approvisionnement en eau était une donnée primordiale de la politique d'extension, les responsables de l'Etat hébreu ont mis en place tous les mécanismes déclencheurs d'une bataille de l'eau. Et celle-ci risque bien d'être celle du Moyen-Orient au XXIème siècle.
A la rareté de “l’or bleu”, s’ajoute ainsi un inégal partage de ce dernier.
La répartition est par nature inéquitable. Le Liban et la Syrie bénéficient des ressources en eau les plus importantes : 800-1 000 m3 par an et par personne. Les Territoires disposent de 85 m3. Avec 250 m3, Israël se situe dans une situation similaire à celle de la Jordanie : 200 m3.
En effet Israël, qui doit faire face à une demande croissante, augmente ses pompages dans le lac de Tibériade, intègre 80% des eaux de Cisjordanie dans son réseau national et surexploite la nappe côtière. Israël occupe 55% du territoire de la région, mais absorbe 86% des ressources en eau. Les deux tiers de la consommation d’Israël proviennent de l’extérieur des frontières de 1948.
L’agriculture irriguée, essentiellement destinée à l’exportation (agrumes), absorbe, à elle seule, 62% de l’eau consommée.
Les Palestiniens doivent se contenter de la portion congrue. Leur consommation est dix fois plus faible que celle des Israéliens.
La question de l’eau est cruciale pour le futur Etat. Les Palestiniens réclament 80% des ressources de la Cisjordanie, alors qu’ils n’ont accès pour l’instant qu’à 20%. Accepter cette revendication priverait Israël de 20% de ses ressources actuellement disponibles.
La Jordanie est installée quant à elle dans la pénurie: le quart de sa consommation annuelle provient de ressources non renouvelables (pompages massifs dans les nappes souterraines fossiles). Toutefois elle parvient à combler son déficit en construisant un canal le long du Jourdain, mais aussi des barrages permettant l’arrivée de l’eau dans le pays.
Mais, comme dans tous les pays du Moyen-Orient, la population ne cesse de croître, faisant augmenter la consommation d’eau. En effet on assiste à l'aggravation due au retour des diasporas israélienne et palestinienne. Même si pour Israël, le taux de croissance annuelle de sa population n'est que d'environ 2 % (contre 3,6 à 3,8 % en Jordanie et en Syrie) incluant la vague d'immigration (750 000 à 1 million de personnes) qui continue à arriver voire à s'amplifier en provenance de l'ex-Union Soviétique, il n'en demeure pas moins que dans l'hypothèse qu’un tel rythme se poursuivrait, la population passerait en Israël de 4,4 à 7 millions et celle des Palestiniens dans les Territoires occupés et ex-occupés de 1,75 à 4,2 millions dès lors que le problème palestinien serait résolu et la diaspora regroupée. En d'autres termes entre 2015 et 2020 la population pour l'ensemble du bassin du Jourdain (si l'on inclut la croissance de la population jordanienne, sur la même période, de 2,7 à 7 millions) pourrait avoisiner les 16 à 18 millions contre 9 millions actuellement. Dans l'absolu, des taux de croissance démographique supérieurs à 1,5 peuvent avoir des conséquences catastrophiques pour des pays en développement (cas de la future entité palestinienne en particulier), les confrontant à l'impossibilité d'approvisionner en eau leurs habitants en quantité suffisante, et bloquant de ce fait le développement économique et social. Le Conseil économique et social des Nations Unies s'en est inquiété en soulignant que " le fossé entre des ressources aquifères limitées et la rapide augmentation de la population (...) s'élargit de façon inquiétante et pourrait mettre en danger la sécurité en matière d'eau dans cette région ". Pour le seul Israël, cela signifie qu'il devrait trouver 800 millions de m3 supplémentaires s'ajoutant aux 1 700 millions actuellement exploités, pour faire face aux conséquences de l'immigration. Du côté palestinien, la Bande de Gaza offre un condensé des problèmes qui se posent dans la région. Donc on peut dire que cette forte consommation d’eau conduit à des difficultés d’approvisionnement qui sont à l’origine des conflits entre Etats, entre les différents utilisateurs, notamment entre les pays qui contrôlent les bassins supérieurs des fleuves, et ceux qui sont situés sur le cours inférieur.
Le problème de l’eau dans cette région n’est donc pas seulement un problème de quantité disponible. La qualité de l’eau pose aussi un problème important, faisant participer les pays de la région à une “chasse au trésor” de “l’or bleu” du XXIème siècle, à une “guerre de l’eau”, véritable guerre géopolitique.
L’eau devient ainsi un enjeu primordial ; un enjeu de conflits ? Un enjeu de paix?
II/ L’eau, un enjeu géopolitique
Entre le statut de Jérusalem, les colonies juives, les frontières, les réfugiés palestiniens, le problème de l’eau est une des questions conflictuelles entre Israël et l’autorité palestinienne, un noeud dans les négociations.
Il faut en fait comprendre le conflit israélo-palestinien comme une volonté chez les deux parties de garantir la pérennité de leur territoire, donc leur propre existence. Ce qui est sûr, c’est que l’enjeu de l’eau s’impose comme un critère essentiel de survie pour Israël, qui cherche à demeurer dans la région. Et dans ce processus de paix qui n'en finit pas de rebondir, avec cette guerre démesurée que les Israéliens livrent aujourd'hui aux Palestiniens aux mains nues, avec leurs chars, leurs mitrailleuses héliportées et leurs commandos qui assassinent les responsables de terrain de l'intifada, l'Etat hébreu livre peut-être sa guerre essentielle, celle pour sa survie, celle pour l'or bleu.
Cette guerre de l’eau se déroule essentiellement dans le bassin du Jourdain, qui est à la base des conflits israélo-palestiniens. En effet dès 1953, des tensions éclatent au Moyen-Orient, lorsqu’Israël a décidé de détourner les eaux du Jourdain grâce au Lac de Tibériade. La situation hydropolitique d’Israël se modifie: Israël, qui connaît depuis longtemps un manque d’eau veut conquérir le Golan, véritable pôle stratégique, véritable “château d’eau national”, et veut par conséquent s’instituer riverain amont ; et ce afin de préserver son approvisionnement en eau, vital pour lui (dans le domaine agricole entre autres, puisque pas de cultures sans eau).
Dans une région aride, où les précipitations sont faibles, l’eau devient donc un bien à exploiter: depuis sa création en 1948, Israël contrôle une partie considérable des eaux du Jourdain, et ceci au détriment des Palestiniens, qui souffrent réellement d’une pénurie d’eau, voire d’insalubrité et d’un manque
d’hygiène, surtout à Gaza, et qui devient de plus en plus problématique à l’heure actuelle: les colons israéliens en Cisjordanie utilisent quasiment autant d’eau que tous les Palestiniens du territoire! 90% de l’eau va au profit d’Israël d’après la Banque Mondiale.
La situation semble par ailleurs s’aggraver à cause de la baisse du niveau du lac de Galilée. Ceci signifie pour Israël, non seulement qu'il ne sera possible de puiser encore que moins d'eau du lac, mais en plus le risque de pollution menace de diminuer la quantité d'eau utilisable. En outre, le lac de Galilée joue un rôle important dans le processus de paix pour la région. L'eau du lac en effet constitue une monnaie d'échange dans les accords de paix qu'Israël et la Jordanie ont conclus en 1994: en échange de l'eau, Israël peut compter sur le bon voisinage du royaume hachémite. Le lac de Galilée étant alimenté en grande partie par les eaux provenant des hauteurs du Golan, occupées par Israël depuis 1967, il constitue un grand enjeu pour les négociations de paix avec la Syrie[5].
La Cisjordanie et le Golan sont les principales sources d’eau et de réserves pour l’Etat juif, qui craint une réduction de ses ressources hydrauliques, et surtout qui veut conserver le monopole de l’eau dans la région. En effet, aujourd’hui Israël, avec l’occupation du Golan et l’accès au Yarmouk, puise près de 750 millions de m3 d’eau. Ainsi le Jourdain et ses affluents sont au coeur des contestations, violentes parfois, entre Israël et ses voisins arabes, qui s’opposent à la domination israélienne sur les eaux douces de la région, mais qui en même temps font régner une situation de “guerre froide”, de “ni paix, ni guerre”.
D’ailleurs, un autre stock important d'eau constitue une menace pour la rive ouest du Jourdain. Depuis l'occupation par Israël, en 1967, cette eau est un des points clés les plus importants dans le conflit israélo-palestinien. Sous les collines de cette partie des territoires palestiniens occupés se trouve un réservoir souterrain en couche rocheuse qui se remplit chaque année grâce aux pluies d'hiver. Une partie de ces eaux s'écoulent naturellement vers Israël, apparaissant en surface comme si c'était une source. Jusqu'en 1967, les habitants palestiniens de la rive ouest du Jourdain ont pu faire usage à satiété de cette eau grâce aux puits. Après 1967, le contrôle sur les stocks d'eau fut enlevé aux villages et communautés locales et attribué au commandement militaire israélien, qui a drastiquement limité la consommation d'eau.
Israël occupe effectivement dès 1967 la bande de Gaza et la Cisjordanie pour le côté palestinien, le Sinaï et le Golan syrien, principale ressource pour Israël en cette denrée rare: l’eau. Au lendemain de la guerre ce dernier a décrété un ordre militaire qui fait que toutes les ressources en eau des territoires occupés passent sous son contrôle, suite à cela une nouvelle loi a été votée modifiant ainsi le cadre juridique jordanien d’avant 1967, cette loi consiste à faire des ressources hydrauliques une “propriété publique…soumise au contrôle de l’Etat”. Utiliser ou creuser un puits d’eau demande désormais l’autorisation des autorités israéliennes, les Palestiniens se trouvent ainsi en situation de dépendance juridique et administrative, une situation qu’ils n’avaient jamais connue auparavant car le puisement de l’eau était considéré comme un droit coutumier dans la bande de Gaza, et en Cisjordanie, les permis étaient accordé facilement par les autorités jordaniennes, ces permis seront annulés suite à l’occupation israélienne, et la vallée du Jourdain sera considérée comme zone militaire.
Dès lors les territoires occupés sont sous la domination israélienne, et sont soumis à une situation précaire. La quantité d’eau disponible pour l’agriculture de la Cisjordanie est gelée depuis 1967[6], ce qui est un désastre si l’on tient compte de la croissance démographique palestinienne. De même de nombreuses références font allusion à une immense disparité dans la distribution de l’eau entre Israéliens et Palestiniens. Pour être plus concrets, la consommation moyenne annuelle d’un israélien est de 450 m3, 90 pour un palestinien et 700 pour un colon juif vivant dans des villas avec un jardin, une piscine et pratiquant pour la plupart l’agriculture. En moyenne un israélien paye le m3 d’eau 0.4 dollars alors qu’un palestinien le paye 2 dollars, ainsi ce dernier consomme cinq fois moins d’eau qu’il paye cinq fois plus cher qu’un israélien. Il est frappant de constater que les propositions du gouvernement sont de rationner l'eau cet été concernant principalement les simples habitants. L'agriculture apparaît ainsi comme le plus grand consommateur/gaspilleur d'eau et toutes sortes de compensations sont en outre instaurées dans les prévisions. Ceci illustre combien la carence d'eau peut aussi conduire à des tensions internes dans la vie commune: le lobby des colons et grands propriétaires terriens, auquel le Premier Ministre actuel Ariel Sharon appartient, réussit même ici à retourner la disette sur le dos des autres. Les vols systématiques d'eau sur le trajet des pipelines, (au point où seulement 20% de l'eau envoyée parvenait effectivement à destination), le manque d'eau pour les besoins agricoles, et l'assèchement quasi total du lac de Tibériade, force est de constater que dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, les décisions ont cherché à répondre à l'urgence plus qu'à des besoins à long terme.
Il est clair qu'Israël ne peut pas se permettre de remettre en cause son agriculture de base, même si celle-ci constitue une ponction aquatique très importante : il serait inconcevable de faire dépendre ce pays d'une agriculture extérieure pour ses besoins vitaux alimentaires. Ce qui est vrai pour Israël l'est aussi pour l'agriculture palestinienne. Ce sont donc les sources d'approvisionnement de l'eau qui doivent être repensées. Certaines techniques, mises au point en Israël, et utilisées à grande échelle par les fermiers américains, consistent à faire pleuvoir les nuages croisant une zone de cultures. Ces techniques s'avèrent trop aléatoires et trop onéreuses pour une agriculture de moyenne échelle comme celle du Moyen Orient. Néanmoins, d'autres techniques modernes se sont avérées efficaces, en particulier les techniques de dessalement de l'eau de mer. La ville d'Eilat vit ainsi grâce à une machine de dessalement qui lui fournit toute l'eau potable nécessaire à sa consommation. Le sel de l'eau de mer étant particulièrement corrosif, une machine résiste cinq ans, de sorte qu'une nouvelle installation est en permanence en construction pour remplacer l'autre. On pourrait imaginer que l'aide européenne à l'Autorité palestinienne prenne une forme concrète et non monétaire, non détournable, et non transformable, avec la mise en place de machines de dessalement de l'eau de mer en nombre suffisant dans le port de Jenine, permettant ainsi une autonomie en eau des territoires palestiniens, et soulageant par là-même les sources d'eau d'Israël à l'heure où celles-ci ne pompent bientôt que du sable.
En fait la stratégie hydraulique d’Israël est conçue pour assurer l’approvisionnement prioritaire des colonies de peuplement et du réseau israélien de conduite d’eau, une fois les besoins satisfaits on commence à se préoccuper des palestiniens tant que cela ne rentre pas en conflit avec les intérêts d’Israël, de façon à ce que les Israéliens bénéficient de l’eau courante toute l’année alors que les Palestiniens souffrent drastiquement.
Ainsi Israël s’impose comme le maître incontesté des eaux douces de la région, maître absolu, ne respectant aucune négociation et aucun traité de partage, notamment avec son voisin, la Jordanie, qui ne reçoit que le quart de quantités d’eau prévues par le plan de 1955, et qui souhaite remédier à cette surexploitation israélienne. Depuis 1994, Israël s’est engagé à restituer à la Jordanie 50 millions de m3 d’eau en provenance du Yarmouk et d’usines de dessalement. Mais la Jordanie souffre d’un manque d’eau, qui semble le seul frein au développement des terres arables du pays. Vitale autant pour Israël que pour la Jordanie, l’eau place le Moyen-Orient sous le signe du déséquilibre hydraulique, d’une guerre géopolitique. Les Jordaniens, riverains du Jourdain, sont ainsi soumis à un très sévère rationnement de l’eau qui s’assortit parfois d’un véritable chantage avec Israël, qui consomme deux fois et demie la quantité d’eau qu’il abandonne non sans restriction aux Jordaniens.
Pour Israël l’enjeu de l’eau est important pour sa survie et sa pérennité – notons que l'Etat hébreu est dépendant de ses voisins. Dépendant de l'eau pompée dans les Territoires occupés, Cisjordanie, Gaza mais aussi zone du Golan. C’est ainsi qu’il a décidé de conserver le Golan syrien et la vallée du Jourdain. On pourrait croire que l’Etat hébreu voudrait amener les Palestiniens à émigrer à cause du manque d’eau, et ainsi s’imposer comme le seul maître des eaux.
Si Israël a fait des efforts en ce qui concerne la construction de nouvelles usines de dessalement de l’eau mer, l’importation de l’eau douce de Turquie, et son utilisation pour l’irrigation notamment en limitant par évaporation le gaspillage, ces efforts demeurent insuffisants quant à rétablir la paix.
Celle-ci devrait avant tout passer par une coopération entre les pays du Proche-Orient, mais aussi entre ces derniers et l’Europe, très présente au niveau des négociations pour fin du conflit.
III/ Quelles solutions pour la paix?
Comme on l’a déjà dit, le Proche-Orient subit une pénurie d'eau structurelle aggravée ces dernières années par des sécheresses récurrentes - notamment celles des années 1989 à 1991 qui ont mis en danger le développement économique et agricole des pays de la région et leur ont fait prendre conscience de la précarité de ressources en eau déjà limitées. En particulier, Israël est situé dans ce que certains auteurs dénomment la "tranche critique" ou "Water stress zone " , accusant avec la Jordanie un déficit hydraulique d'au moins 300 millions de mètres cubes par an.
La " Déclaration de principe sur des arrangements intérimaires d'autonomie " signée le 9 septembre 1993 entre Israël et l'Organisation de Libération de la Palestine (O.L.P.) aborde bien évidemment le problème de l'eau, s'inscrivant dans le processus des négociations multilatérales israélo-arabes amorcé à Moscou les 28 et 29 janvier 1992 en vue d'aboutir à la paix et dont l'eau constitue l'un des cinq volets[7].
On peut résumer parfaitement l'enjeu, pour lequel " Il ne peut y avoir de paix sans régler le problème de l'eau et vice versa (...). C'est l'eau qui déterminera l'avenir des territoires et, au-delà, la paix ou la guerre. Si la crise n'est pas résolue, il en résultera une plus grande probabilité d'un conflit entre la Jordanie et Israël qui entraînerait certainement d'autres pays arabes[8] ". La poursuite et l'issue des négociations actuelles entre Israéliens et Palestiniens sont bien évidemment conditionnées par les garanties d'accès à la ressource en eau que l'O.L.P. serait disposée à consentir à Israël dans l'hypothèse de la constitution d'un Etat Palestinien.
En effet à juste titre, " il est inconcevable qu'un gouvernement israélien abandonne jamais une quelconque partie des territoires occupés sans qu'un plan effectif lui assure un accès permanent sur ces territoires à une ressource en quantité suffisante ou à un accès à d'autres sources comparables dans la région, telles que probablement le Litani ou l'Awwali au Liban ". Le contexte régional dans lequel s'inscrit le processus de paix entamé entre Israël et l'O.L.P, demeure un contexte de rareté de la ressource en eau et de croissance démographique qui marque une aggravation prévisible des disparités. Jusqu'alors, Israël s'est livré à une recherche incessante du contrôle d'une zone hydrauliquement stratégique qui s'est caractérisée par l'échec des plans de partage successifs de la ressource. La résolution du problème est conditionnée par la conduite conjointe d'avancées politiques et techniques dans un cadre régional dépassant le seul différend israélo-palestinien.
Il existerait dans cette dimension, une seule solution au problème de l’eau, qui nourrit de plus en plus le conflit israélo-palestinien: la légalité internationale.
Cette légalité internationale, c'est la résolution 242 qui postule la terre contre la paix. C'était en mai. Des rumeurs couraient, que David Lévy alors ministre des Affaires étrangères du cabinet Barak ne démentait pas, selon lesquelles une agence internationale pour la gestion de l'eau allait être créée. L'Europe, les Etats-Unis et le Japon étaient intéressés à cette mise en commun des ressources hydrauliques dans un cadre qui aurait rappelé celui de la CECA, la Communauté Européenne du charbon et de l'acier, fondée par les Pères de l'Europe pour mettre en commun ces ressources stratégiques et éviter ainsi l'affaire des réparations des lendemains de la première guerre mondiale.
Le projet est sérieux et intelligent. Il n'y a en effet qu'une dizaine de kilomètres entre le coude du Litani au niveau du château Beaufort et l'une des sources du Jourdain. La dérivation des eaux du Litani qui se déverse bêtement dans la Méditerranée, règlerait en grande partie la question de l'eau sur le territoire de la Palestine mandataire et en Jordanie. Il est aussi possible d'imaginer un aqueduc qui partirait de la Turquie pour traverser la Syrie et le Liban et se déverser dans le lac de Tibériade. Seulement, une telle réalisation exige qu'Israël soit en paix avec ses voisins, laquelle paix est tout simplement suspendue à la reconnaissance - et évidemment l'application sur le terrain - de la résolution 242. Cela exige la restitution de l'entière Cisjordanie et de la bande de Gaza, et du Golan jusqu'aux frontières d'avant la guerre des six jours. On en est apparemment très loin.
Par ailleurs, une solution peut être envisageable du problème pour les pays du Proche-Orient, et qui suppose la mise en oeuvre non seulement de nouvelles techniques de dessalement de l’eau de mer à très grande échelle, mais aussi de quantités considérables d’énergie. La solution d’avenir semble donc être l’association de l’énergie nucléaire et de très grandes unités industrielles de dessalement, ce qui implique une concertation et une coopération internationales, et par conséquent le rétablissement de la paix. En même temps cette solution permettrait de résoudre tous les problèmes dus au manque d’eau sur tout le littoral méditerranéen[9].
Membre du “Comité d’Action pour la Méditerranée”, Hervé Lavenir de Buffon, suggère à la Commission européenne de Bruxelles l’organisation d’une conférence réunissant l’ensemble des pays riverains, en vue de l’instauration d’une coopération fondée sur la complémentarité naturelle de ces derniers. Cette conférence était sensée régler certains problèmes, notamment les questions de l’eau, mais aussi du chômage, du sous-emploi…
Dans ce même contexte, une agence méditerranéenne de l’eau pourrait être la solution.
Aucun domaine ne semble plus indiqué maintenant que celui de l’eau pour promouvoir une large coopération entre pays riverains de la Méditerranée. En aucun autre domaine cette coopération ne semble aussi urgente indispensable qu’il s’agisse d’améliorer les techniques d’exploitation existantes ou d’accroître les ressources[10].
Cette agence serait d’autant plus viable qu’elle serait en liaison avec des organismes nationaux et internationaux déjà existants. Elle devra déterminer les objectifs et les moyens d’une politique de l’eau pour les pays du bassin méditerranéen, et en particulier au Proche-Orient
L’agence aura donc une dimension technique mais aussi politique, puisqu’elle réunit l’ensemble des gouvernements en question, et devra disposer d’une autonomie suffisante tout en étant l’instrument de prévision de la volonté des pays membres[11].
Elle nécessite enfin des moyens financiers et des compétences techniques et scientifiques, dans la mesure où elle sera complétée par un organisme spécialisé dans l’énergie, nucléaire en l’occurrence.
Si le problème de l’eau doit être résolu, il faut d’abord envisager la paix, puisque ce n’est pas seulement l’eau qui se place au coeur du conflit israélo-palestinien.
L’inefficacité des Etats-Unis, leur refus d’imposer une solution pour Israël, ont conduit à l’impasse actuelle. Rappelons que des négociations se sont tenues autour de la distribution de l’eau entre Israël et l’Autorité Palestinienne, et qui ont aboutit dans les accords d’Oslo 2 en 1995, prévoyant une coopération dans la gestion et le développement des ressources aquifères des territoires occupés, augmentant ainsi les quotas d’eau alloués au palestiniens, mais les divergences dans l’approche sur la question de l’eau a mené à une impasse et le statu quo a subsisté. L’Europe, depuis longtemps mise de côté par les Etats-Unis, a les moyens d’agir. D’abord par sa puissance économique, puis par les pressions qu’elle peut exercer sur Israël, étant le premier partenaire économique de ce dernier. Et ceci pour amener les antagonistes à régler un conflit qui empoisonne la vie internationale depuis plus d’un demi-siècle.
Moins soumise que les Etats-Unis à la pression des lobbies pro-israéliens, l’Europe a les possibilités de s’imposer comme porteur de paix au Proche-Orient.
Enfin, notons simplement que l’Autorité palestinienne bénéficie des aides américaines en matière d’eau. En effet Le 7 mars 2002, The Jerusalem Times, une publication palestinienne, indique que " malgré ses fortes critiques de l'Autorité palestinienne et de son président Yasser Arafat, les Etats-Unis ont alloué 400 Mns USD au peuple palestinien, pour l'année fiscale octobre 2001-septembre 2002 ", dont 200 Mns USD sont destinés à des projets d'infrastructure hydraulique dans les Territoires. Le 13 mars 2002, le même journal relève que, en étroite collaboration avec l'Autorité Palestinienne de l'Eau (PWA), l'Agence pour le Développement International (AID) des Etats-Unis augmente la quantité et améliore la qualité de l'eau disponible pour les Palestiniens. De 1995 à 2001, l'AID a consacré 250 Mns USD à la bande de Gaza afin de traiter les eaux usagées et gérer l'aquifère : 400 000 habitants de Gaza bénéficient ainsi d'une eau potable. Elle a presque doublé le volume d'eau disponible pour les 400 000 habitants de Béthlehem et de Hebron. Elle a fourni de même l'eau courante aux domiciles des 40 000 villageois des environs de Jenine[12].
Mais ces aides semblent apparemment insuffisantes. Les Palestiniens devront, selon Alexandre Feigenbaum, l'un de ses auteurs : "A diffuser sans modération… ", recevoir une aide de leurs voisins arabes, notamment le Liban et la Syrie, une aide qui ne devrait pas être gérée par Israël. Il faut, pour échapper au monopole israélien des eaux de la région, que les pays arabes acquièrent une certaine autonomie, voire une indépendance quant à contrôler leurs eaux. C’est le cas par exemple de Liban, qui a projeté en 2002 de pomper 10 000 m3 d'eau par jour dans les chutes qui alimentent le fleuve Hasbani et a installé les conduits nécessaires. risquant de réduire les ressources hydrauliques d'Israël de 3 à 4 Mns m3 par an.
Si selon Abdel Rahman Tamimi, directeur du “Palestinian hydrology group” Israël a proposé à l’autorité palestinienne de mener un projet de dessalement de l’eau de mer dans la bande de Gaza, celui-ci ne peut aboutir, car il peut menacer le secteur de pêche du port de Gaza à cause du rejet du sel dans la mer après le dessalement, détruisant ainsi tout l’écosystème aquatique. Israël semble a priori ne pas se soucier du problème et veut apparemment responsabiliser les Etats arabes.
La question de l’eau reste aujourd’hui sans issue, pendant que la Banque mondiale a conclu que le pompage de l’eau des nappes phréatiques au rythme actuel rendra l’eau impropre à la consommation humaine. En fait la question de l’eau est un des enjeux multiples du conflit israélo-palestinien. le rétablissement de la paix ne dépend pas seulement de l’eau, mais avant tout d’une reconnaissance mutuelle du territoire et de l’identité de chacune des deux parties belligérante.
Si en 1995, le traité intérimaire des accords d’Oslo a inclus la reconnaissance officielle de la part d’Israël des “droits des Palestiniens sur l’eau en Cisjordanie”, la situation aujourd’hui n’en est pas moins contradictoire. Selon la banque mondiale, 90% de l’eau de Cisjordanie sont utilisés au profit d’Israël, les Palestiniens ne disposant que des 10% restants[13]. La question de l’eau empoisonne ainsi les relations entre Palestiniens et Israéliens au quotidien: pour creuser tout nouveau puits, les Palestiniens doivent obtenir une autorisation spéciale. De même, les terres dont l’autonomie, totale ou partielle, est reconnue par le gouvernement israélien sont en général situées sur des hauteurs calcaires rendant l’accès aux nappes phréatiques particulièrement difficile. La consommation moyenne d’une famille palestinienne est actuellement inférieure de 60% à celle d’une famille israélienne. La situation la plus critique est celle de Gaza, comme on l’a précisé, où le niveau de salinité et un système défectueux des eaux usées rendent l’eau impropre à la consommation.
Israël craint par ailleurs que la création d’un Etat palestinien en Cisjordanie - prévu déjà par la feuille de route et l’accord de Genève – et le retour des plateaux du Golan à la Syrie ne se traduisent par une réduction substantielle de ses ressources hydrauliques actuelles. En effet, près de 15% de l’eau provient du Golan – l’eau de ce dernier se déversant dans le lac du Tibériade, qui constitue la plus grande réserve pour Israël. La Syrie considère que l’eau comme la terre du Golan lui appartiennent. Un accord de paix entre les deux pays pourrait conduire à la reconnaissance de la souveraineté syrienne sur les eaux du Golan par Israël, Damas s’engageant en contrepartie à ne pas couper l’alimentation du lac de Tibériade. Mais il est plus probable que se maintiennent l’état actuel de “ni paix, ni guerre” et que le Golan reste “la frontière hostile” des deux pays.
A l’heure actuelle, dans le contexte de raréfaction croissante de l’eau dans la région, seuls les mécanismes de coopération régionale et bilatérale peuvent régler les déséquilibres hydrauliques, ou encore atténuer les situations de pénurie. Les Etats vont devoir adopter une gestion des ressources en eau dépassant les frontières nationales et intégrant les “frontières hydrauliques”.
Pour cela, il faut trouver un accord mettant fin aux différends territoriaux de la région, particulièrement entre Israël et ses voisins arabes. Cet accord mettra plus de temps que prévu, on risquerait même de se trouver dans un cercle vicieux.
Bibliographie / Webographie
[1] Xavier de Villepin, “Guerre de l’eau au Moyen-Orient”, La voix de France, Janvier 2001, no 486
[2] Hervé Lavenir de Buffon, “De l’eau plutôt que du sang”, Panoramiques, 2002, no59, pp189-194
[3] G. Mutin, Moyen-Orient, Géographie universelle, Belin-Reclus, 1995
[4] S. Deconinck, L’eau dans le conflit israélo-palestinien, Bruxelles, 2001
[5] Yona Dureau, Israël virtuel/vertu-el, ou comment imaginer la paix
[6] Véronique Chemla, L'eau, un des thèmes majeurs des trois enceintes mondiales à Johannesburg, Guysen Israël News ,août 2002
[7] L'eau au coeur du processus de paix entre Israël et l'OLP
Propositions J. Sironneau Ministère de l'Environnement - Direction de l'Eau
[8] “La pénurie d’eau au Moyen-Orient”, Revue des Deux Mondes, septembre 2000
[9] “Géopolitique de l’eau”, Géo, décembre 1993
[10] “L’eau des territoires palestiniens”, Le Monde, 29/01/92
[11] “L’eau vitale pour la Jordanie”, Le Monde, 21/04/1994
[12] Dictionnaire de Géopolitique, Flammrion, 1993
[13] http://www.geocities.com /lotfy_eg/articlesureaujdi.html
Mohamed Lotfy, “Le problème de l’eau dans le conflit israélo-palestinien”, 24/03/2002
تطرح الباحثة مشكلة المياه في منطقة الشرق الأوسط عموماً في ظلّ الحاجة المتزايدة إليها، وضآلة الكميات المتوفرّة منها، إضافة إلى إشكالية طرح الكثير من المياه في البحر دون الاستفاده منها، وسعي إسرائيل إلى اعتماد كل السبل المتاحة أمامها لـ"سرقة" المياه من مختلف الدول المجاورة.
وهي ترى أنّ أهمية الماء بالغة الحيوية بالنسبة لاسرائيل إلى درجة اعتبارها أنّ الحرب القاسية التي تشنّها إسرائيل ضدّ الإنتفاضة الفلسطينية وقياداتها، ما هي إلاّ خطوة إحتياطية على طريق معركة المياه، بمعنى أنّ إسرائيل تسعى لهزيمة الإنتفاضة كي تضمن لنفسها ربح المعركة الأخرى الأساسية وهي معركة المياه.
وهذا ليس مفاجئاً، فقد استعر النزاع بدايةً في المنطقة عام 1953 عندما قرّرت إسرائيل تحويل مجرى نهر الأردن. وبعد ذلك بحوالي عقدين من الزمن، أقدمت إسرائيل على إحتلال هضبة الجولان السورية، ليس لأهمية استراتيجية موقعها فقط، بل لأنّها تختزن في باطنها كميات هائلة من المياه تستفيد إسرائيل منها مباشرة ولا يمكنها الإستغناء عنها.
تأتي المياه في طليعة أولويّات اسرائيل، حتى إنها تتقدّم على سُلّم الأهميّة، العديد من القضايا المعتبرة أساسية في إسرائيل مثل مستقبل مدينة القدس، أو مستقبل المستوطنات الصهيونية، أو مستقبل اللاجئين الفلسطينيين في الدول العربية المجاورة وفي الشتات. ولفرط اهتمام إسرائيل بالمياه وحاجتها إليها، فهي تستجرّها وتستغلّها بشتّى الطرق والوسائل إلى درجة إنها استنفذت مختلف مصادر المياه الجوفية والسطحية في كلٍ من الأردن وقطاع غزّة والضفّة الغربية.
وتتحدّث الباحثة عن شائعة أفادت بإنشاء وكالة دولية للمياه إيّام حكومة "باراك"، بمباركة أوروبية أميركية يابانية، وطرحت مشروعاً لتحويل نهر الليطاني اللبناني على مستوى وادي قلعة الشقيف، ليصّب في إحد روافد نهر الأردن القريبة، ممّا يكفي فلسطين (الإنتدابية) والأردن حاجاتهما من المياه.
لكن الحلّ الذي تطرحه الباحثة لمشكلة المياه في المنطقة، ينطلق من حلّ شامل للأزمة السياسية في المنطقة، بما يؤدي إلى عقد إتفاقيات تعاون مائي حبيّة بين مختلف دول المنطقة لتقاسم خيرات الذهب الأزرق.