L'Implantation de l'Economiesioniste avant la Creation d'Israel

L'Implantation de l'Economiesioniste avant la Creation d'Israel
Préparé par: Dr. Zakaria FAWAZ
Université Libanaise

Le sionisme, vecteur idéologique de l'implantation juive en Palestine, dispose d'une stratégie qui a soumis les diverses formes économiques et politiques de la colonisation à sa disposition, pour réaliser ses objectifs.Tous les moyens étaient bons pour pratiquer ladite stratégie: l'éviction des Arabes de leurs positions dans l'économie locale, en boycottant leur agriculture voire, en détruisant leurs produits et en agressant les marchands; l'acquisition des terres des mains des propriétaires "absentéistes" plus intéressés par l'argent liquide que par le développement de leurs propriétés; l'expulsion des paysans arabes, une fois les terres acquises. L'acquisition des terres ne se limitera pas à l'achat; la confiscation rentre aussi dans la stratégie de fondement de colonisation sioniste de la Palestine.
Cette colonisation se développe à l'aide d'une infrastructure organisationnelle inspirée par les idéaux socialistes de "pionniers" sionistes, marqués par la tension révolutionnaire en Russie et en Pologne. Cet instrument privilégié du sionisme n'est que la Fédération Générale des Travailleurs Hébreux en Terre d'Israël -la Histadrouth- qui a joué un rôle principal dans l'application de la stratégie de l'expulsion de la main d'oeuvre arabe du marché de l'emploi. Ayant pour dessein l'implantation d'une économie juive en Palestine, la Histadrouth a joué son rôle fondamental dans la destruction de l'économie palestinienne dans le pays, durant la période du mandat britannique (1917-1948).

Il est, donc, important de connaître les structures socio-économiques et politiques de la société sioniste avant 1948 et sa stratégie d'implantation, afin de comparer cette stratégie avec celle qui est pratiquée dans les Territoires Occupés après 1967. Durant la période du mandat, les moyens utilisés, pour appliquer ladite stratégie, sont mis à l'aide de son instrument, la Histadrouth. Les conséquences de l'implantation ont abouti à la formation d'une économie juive, antagoniste et parallèle à l'économie arabe, voire à la destruction complète des structures socio-économiques du secteur arabe en Israël.

 

LA STRATEGIE D'IMPLANTATION DES PIONNIERS ET LES STRUCTURES SOCIO-ECONOMIQUES DE LA SOCIETE SIONISTE AVANT 1948

Dans les écrits des premiers sionistes, c'est-à-dire ceux qui paraissent durant la deuxième moitié du XIXème siècle([1]), une caractéristique principale retiendra l'attention. Il s'agit de la vision conceptuelle, sinon abstraite, de l'espace nécessaire à la réalisation du projet du concentration du peuple juif([2]), cette concentration territoriale des Juifs en une entité autonome. Et l'existence d'une telle entité est censée résoudre le "problème juif", ou plus exactement celui de l'antisémitisme. Cet antisémitisme([3]), produit idéologique des sociétés occidentales en crise([4]), devient pour l'idéologie sioniste l'expression universelle de l'éternelle persécution des juifs.

Dans l'Etat sioniste, les théoriciens sionistes trouvent l'expression et l'incarnation du nationalisme juif. Cet Etat doit donc être suffisamment spacieux pour accueillir tous les enfants de la Nation Juive([5]). Donc, les théoriciens sionistes entretiennent, volontiers, la confusion entre juif et sioniste: si le projet nationaliste juif n'existe effectivement pas, il n'en est pas de même pour celui qui concerne le nationalisme sioniste. En présentant comme universelles des aspirations qui leur sont particulières, les sionistes trouvent là, le moyen le plus sûr d'atteindre leur but. On va donc favoriser à outrance l'accueil de "tous les enfants de la Nation juive"([6]).

   Dans la vision du sionisme, la Palestine devient cet espace idéal où l'histoire assaillira le peuple juif des intérêts économiques et politiques contradictoires. De peuple juif, il deviendra peuple "travaillé" par les luttes de classes([7]). Cette configuration idéologique se révèlera pratiquement "autrement" dans le mouvement universel de la colonisation de peuplement de la Palestine. Elle trouvera sa réalité dans l'accaparement des terres palestiniennes et dans le peuplement du Pays par les juifs, au gré des vagues successives d'immigration.

    Donc, le sionisme aspire à constituer une entité ethnique juive homogène et à fonder une souveraineté territoriale exclusive en Palestine. Telle a été, et reste jusqu'à nos jours, l'essence même du sionisme. L'exclusivisme juif, c'est l'essence de la stratégie sioniste à laquelle sont soumises les diverses formes économiques et politiques de la colonisation de la Palestine. En d'autres termes, s'il est juste d'affirmer que les différentes étapes qui ont marqué la colonisation de la Palestine ont été le produit de conditions objectives variées et changeantes, elles se situent toutes dans le cadre de la volonté de rassembler la majorité des juifs du monde en Palestine et d'y former un Etat juif sans la population arabe indigène, et ceci grâce au soutien des grandes puissances.

 

   L'étape décisive fut franchie lorsque le premier congrès sioniste réunissait à Bâle 204 délégués venus du monde entier (29 août 1897). Désormais, le sionisme n'est plus un courant diffus à tonalités religieuses et philanthropiques, mais un mouvement politique et national. Selon la définition adoptée par l'Assemblée, l'objectif sioniste est "d'assurer au peuple juif un foyer en Palestine, garanti par le droit public". Afin d'atteindre ce but, le Congrès recommande les mesures suivantes:

     - L'encouragement systématique de la colonisation de la Palestine par
       l'établissement d'agriculteurs, d'artisans et d'ouvriers juifs.
     - L'organisation et la fédération de tout le judaïsme par le biais de
       sociétés locales et de fédérations générales conformément aux lois
       du pays où elles sont fondées.
     - Le raffermissement du sentiment juif et de la conscience nationale du
       peuple juif.
     - Des démarches préparatoires afin d'obtenir des gouvernements, le
       consentement nécessaire pour atteindre le but du sionisme([8]).

     C'est surtout en Europe orientale que la réunion sioniste mondiale suscite une adhésion massive, c'est-à-dire auprès "des juifs qui vivaient dans les régions de servitude politique, de misère et d'hostilité sociale"([9]).

    En Europe de l'Ouest, le mouvement sioniste a pour premiers prometteurs, toute une série de publicistes, alors très connus et très appréciés dans le monde de la littérature et du journalisme, bien au-delà des communautés juives. Des personnalités, comme Israël Zangwill, Max Nordau et Théodore Herzl sont des auteurs de réputation internationale([10]). C'est au premier qu'on se réfère justement, afin de justifier la colonisation de la Palestine. Les sionistes affirment que le Pays, avant eux, était un désert, tout en reprenant l'écrit de Zangwill en 1901, dans sa formulation: "La Palestine est une terre sans peuple; les Juifs sont un peuple sans terre. La régénération du sol conduira à la régénération du peuple"([11]).

   Donc, les sionistes insistent sur le fait que les colons juifs ont trouvé, en arrivant en Palestine, un pays désert, tant sur le plan économique qu'institutionnel. A. Schölch a étudié en profondeur la situation économique de ce Pays à la fin du XIXème†siècle, en examinant sa situation dans l'économie globale syrienne, particulièrement vue sous l'angle du déficit général du commerce syrien avec l'Europe, au XIXème siècle. Il conclut: "Avant 1882, la Palestine n'était pas un pays désolé et stagnant ; son économie orientée vers l'exportation avait connu pendant les trentes années qui ont suivi la guerre de Crimée, une réelle prospérité. Grâce à sa balance des paiements excédentaire, la Palestine jouait un rôle important dans l'économie générale de la grande Syrie"([12]). Certes, après 1882, l'économie de la Palestine va connaître une régression sensible. Mais ceci ne change rien au fait qu'indépendamment du sionisme, un potentiel réel de développement économique et social existait dans le pays, et qu'au contraire, c'est la colonisation sioniste qui allait mettre un frein à ce développement.

    Depuis sa rentrée dans la sphère coloniale, l'économie arabe palestinienne était, par rapport aux autres économies de la grande Syrie, une économie agricole relativement développée. Comme toutes les économies de type agricole, il y dominait, dans une large mesure, une féodalité terrienne. La paysannerie composait l'essentiel de la population; l'industrie, au sens moderne, était inexistante, mais la présence des activités à caractère artisanal et traditionnel n'était pas négligeable. L'essentiel de la production agricole consistait en légumes, céréales, olives, tabac et fruits (agrumes, particulièrement). Considérée comme une région riche en denrées agricoles, la Palestine en exportait le surplus à partir de deux ports principaux: Haïfa au nord et Jaffa au sud. Quant à l'industrie traditionnelle, on comptait essentiellement des savonneries et des huileries([13]). L'artisanat était tourné vers la poterie, les métiers à tisser la toile et les étoffes de laine (à Gaza), et la fabrication d'objets de piété et d'objets en bois d'olivier (à Bethléem)([14]).

   A côté de cette formation économique classique, les sionistes vont bâtir un système socio-économique moderne, basé sur une technologie développée importée d'Europe, des méthodes d'organisation et des formes d'investissement capitalistes. L'implantation de ce système par les sionistes, contrairement à tous les autres exemples de colonisation européenne qui ont intégré les indigènes dans leur système de production coloniale, s'est refusé à exploiter la main d'oeuvre locale à bon marché. Son objectif étant de "normaliser" la structure économique et sociale de la société juive, le sionisme se devait à exclure la main d'oeuvre arabe du marché, afin de permettre aux juifs de produire eux-mêmes leurs moyens de production et de consommation([15]).

 

  C'est donc consciemment que le sionisme a bâti une économie et une société indépendantes, parallèles à la société arabe autochtone. Il fallait isoler, réduire puis détruire la société arabe, afin de permettre l'émergence d'une société exclusivement juive, avec ses classes, son marché, ses institutions. C'est à cette tâche centrale que s'est attelé le mouvement sioniste pendant trentes années du mandat britannique en Palestine, empêchant sciemment la société arabe de se développer, au moment même où les pays arabes avoisinants connaissaient un développement économique dû principalement, aux effets de la seconde guerre mondiale([16]).

  Tous les moyens étaient bons pour exclure les Arabes de leurs positions dans l'économie locale: utiliser les grèves pour faire remplacer les travailleurs arabes par des travailleurs juifs dans les institutions du mandat britannique et dans les industries à capital étranger; boycott de l'agriculture arabe, voire destruction de ses produits et attaque des marchands; acquisition des terres des mains de propriétaires absentéistes plus intéressés par l'argent liquide que par le développement de leurs propriétés; expulsion des paysans arabes, une fois les terres acquises. Dans la concurrence entre l'industrie et l'agriculture locales et celles développées par les sionistes, ces derniers partaient gagnants d'avance, vu les techniques modernes qu'ils utilisaient et les grands capitaux à la disposition des colons.

  Les jeunes juifs qui avaient souffert de l'oppression et de pogroms antisémites en Europe de l'Est, immigraient en Palestine, le coeur plein d'idéaux nobles et prêts à tous sacrifices. Ils étaient convaincus de pouvoir résoudre la question juive en rassemblant le plus grand nombre possible de juifs en Palestine et en y créant un Etat juif. un certain nombre d'entre eux liait ce projet à la création de relations nouvelles entre les hommes et au socialisme. La réalité sera différente...

  Avant tout, les pionniers devaient se donner les moyens d'exister dans un pays qui leur était complètement étranger et aux conditions auxquelles ils n'étaient pas préparés. Pour les aider, le mouvement sioniste mondial mettra sur pied toute une série de fonds destinés à récolter l'argent au sein des communautés juives, afin d'acheter des terres et de subventionner l'établissement des pionniers en Palestine. La création par la Histadrouth de toute une série de coopératives et d'entreprises de construction sera un des moyens les plus efficaces pour permettre, après la première guerre mondiale, aux pionniers de donner une base économique et sociale à leurs projets colonialistes.

 

LES STRUCTURES MISES EN OEUVRE POUR REALISER LA STRATEGIE SIONISTE

Colonisation de la Terre
Le mouvement sioniste a donné une importance primordiale aux colonies agricoles dans son projet de création d'une entité politico-sociale juive indépendante; pour le réaliser, il fallait avant tout accaparer le maximum de terres. Cet accaparement des terres s'est fait la plupart du temps de "façon légale". Le Fonds National Juif, créé en 1901([17]), s'occupe, en tant qu'association d'utilité publique, d'acheter des terres, qu'il cède ensuite aux colons juifs. Les principes statutaires du "Kéren Kayémet Léisraël"([18]) stipulent essentiellement que la terre offerte est propriété inaliénable du peuple juif([19]); par conséquent, elle ne peut être vendue. En outre, la séparation du travail juif -considéré comme exclusif- et du travail arabe y est explicitement formulée([20]).

   Le principe fondamental du K.K.L. n'est que l'expression pratique d'une phrase lapidaire et énergique de la Bible: "Les terres ne se vendront point à perpétuité, car le pays est à moi, dit le Seigneur". A défaut du Seigneur, c'est donc le K.K.L. qui limite la vente des terres acquises. Il traite directement avec l'administration mandataire, en usant des lois édictées par celle-ci -notamment la Mahlul Land Ordinance (1920)([21]) et la Mewat Land Ordinance (1921)([22]); il traite aussi avec les propriétaires fonciers. Ces transactions s'effectuent principalement avec les gros propriétaires (90,6 % des terres achetées). Toutefois, il convient de remarquer que 52,6 % de ces terres seront achetées à des propriétaires absentéistes (des familles Libano-syriennes), et 24,6 % à des propriétaires résidant en Palestine. Les achats du K.K.L. comprendront 9,4 % des terres appartenant à des petits paysans propriétaires: plutôt que de se voir confisquer sa terre par les autorités, en vertu des lois du Mandat, le petit paysan préfère la vendre à un courtier arabe, qui s'entend pour la revendre au Fonds National Juif.

    Vers 1946, l'Agence juive se sera effectivement appropriée 1800 km de terres cultivables sur les 27 000 km du territoire palestinien. Les sionistes possèdent alors 6,6 % du territoire, mais près du tiers de la superficie cultivable

               

 

 

sources : John RODI, "l'usurpation des terres", in I. ABOU-LOUGHOUD, la judaïsation de la Palestine, Centre de      Recherches Palestiniennes, Beyrouth, 1972, pp. 132-154. Cf. Z. FAWAZ, thèse, op. cit., pp. 80-85.

L'acquisition des terres par le K.K.L. s'est produite de façon très légale. Peut-on dire pour autant que la notion de colonisation ne convient pas à cette appropriation des terres palestiniennes par l'organisation sioniste? Rappelons-nous que plus de 52,6 % des terres sont vendues par des propriétaires absentéistes; une population de métayers vit sur ces terres, elle en est dépossédée. En outre, une grande partie des terres d'Etat est attribuée par l'Administration mandataire au K.K.L. qui obtient, après coup, des titres de propriété. Nombre de paysans établis sur des terres "Mewat" doivent ainsi les abandonner. Il en est de même pour les populations nomades qui sont souvent forcées de se déplacer vers des pâturages moins favorables([23]).

L'échange profite alors directement au K.K.L.; aucune décision n'a enfin de compte pour origine le choix du "fellah". Tout au long de cet accaparement, ce dernier assiste contre son gré à da dépossession. Ceci reflète que malgré l'achat d'une apparence légale, il y a bien un processus de colonisation, mais de type brutale: "La confiscation brutale des terres n'est nullement une caractéristique fondamentale de la colonisation"([24]). En fait, "les terres de colonisation dans le monde entier ont été acquises bien moins par la force directe que par des transactions apparemment légales, la position privilégiée du colonisateur permettant des astuces et des détours légaux en sa faveur... La régularité juridique des achats de terres sionistes n'est donc nullement un argument contre le caractère colonial du Yichouv"([25]).

 

Les Moyens de Production Déployés par la Colonisation Sioniste

Le Yichouv([26]), ou établissement sioniste en Palestine, se développe à partir d’une infrastructure qui s'organise dans l'espace rural palestinien sous les formes originales du Kibboutz([27]) et du Moshav. Cette infrastructure subit elle-même l'influence idéologique du sionisme qui s'exprime particulièrement par la notion du "travail juif". Une structure définie, la Histadrouth (Fédération Générale des Travailleurs Hébreux en Terre d'Israël) est chargée d'appliquer ce principe idéologique raciste (il n'est pas seulement un phénomène de concurrence avec les ouvriers palestiniens, alors qu'il l'est, dans une certaine mesure, pour le mandataire) dans les moyens de production du secteur juif, aussi bien dans les campagnes que dans les villes.

Le K.K.L. octroie les terres achetées aux kibboutzim et aux moshavim. Cette concession s'effectue sous forme de bail emphytéotique de 49 ans renouvelables. Dans la campagne palestinienne, les terres sont donc exploitées selon une structure de production à caractère collectiviste. La population de ce Kibboutz ou de ce Moshav est comme le propriétaire de ces terres; elle est en outre partiellement, propriétaire des moyens de production (exceptée la terre), partiellement, simple propriétaire (l'Agence juive, détenant les capitaux, organise le crédit)([28]).

Le Kibboutz est lui-même dans son entier unité de production, tandis que dans le cas du Moshav, c'est plutôt la famille qui constitue l'unité de production. Cependant, dans ce dernier cas, certains matériels et équipements sont achetés et gérés collectivement. En outre, les habitants du Moshav se donnent des obligations statutaires d'ordre idéologique et social: l'utilisation de la main d'oeuvre salariée doit être liée à des circonstances très exceptionnelles; les membres ont les uns envers les autres des obligations d'entraide. La vie rigoureusement communautaire du Kibboutz ne permet pas d'envisager un objectif mercantile; une coopérative assure l'écoulement des produits et le produit de la vente revient à la communauté (dans le cas du Kibboutz) et pour partie à la famille, tandis que dans le cas du Moshav, le produit de la vente revient à la famille et pour partie à la communauté([29]).

Brossée à grands traits, cette structure de production dégage quelques caractères socialistes indéniables([30]). Pourtant, ce constat mérite d'être nuancé. Dans cette structure, on ne cultive pas un simple produit destiné à faire l'objet d'un échange simple; la qualité de la production répond bien sûr aux besoins de la population sioniste en Palestine, mais elle est surtout orientée en fonction des échanges instaurés par le capitalisme.

Les colonies agricoles collectivistes sont le lieu privilégié où se déploient des cultures qualitativement différentes de celles qui se rencontrent traditionnellement dans l'agriculture palestinienne. Il suffit de regarder la répartition de la population agricole suivant le mode de culture, en 1934, pour se convaincre de ce changement:

 

sources : Akiwa KOENIGSBERG, Le Fonds National Juif et la Colonisation en Palestine, Thèse, 1938. Cf. C. et P.    PINEAU, op. cit., p.56.

D'après le tableau no2, ci-dessus, on voit donc que moitié moins de juifs que de palestiniens s'adonnent à la culture de subsistance (céréales, légumes, etc.), tandis que 44,6 % de la population agricole juive est occupée dans les produits d'exportation (oranges, vigne, horticulture) contre 10,2 % de la population agricole palestinienne.

Un marché intérieur et extérieur se développe donc; il nécessite une agriculture intensive qui requiert des investissements importants, tandis qu'une coopérative centrale organise le marché et que l'Agence juive distribue les capitaux. Dans ces conditions d'organisation de la production, les colonies agricoles collectivistes restent très dépendantes et déficitaires([31]). Fin 1926, le déficit des douze principaux kibboutzim s'élevait à 18 % du capital investi. Le caractère quasi-socialiste du Kibboutz, tout en jouant un rôle primordial dans la transformation de l'agriculture en Palestine, ne peut masquer une fonction idéologique essentielle. Le Kibboutz, expression du socialisme rêvé par les pionniers sionistes (Haloutzim) de la seconde "aliyah" (immigration) particulièrement, s'avère avant tout comme affronté à la résistance de la population palestinienne. Cette résistance de la population autochtone à la colonisation sioniste rend impossible l'établissement de colons juifs isolés. Ainsi peut-on comprendre ces paroles de M. Rodinson: "Si le Kibboutz n'avait pas été imaginé dans les esprits par les cercles de pensée sionistes de Pologne et de Russie, il aurait fallu l'inventer de toutes pièces, pour s'adapter aux conditions empiriques des implantations en Palestine"([32]).

 

La Histadrouth:
Son Rôle Comme Instrument de la Stratégie Sioniste


     L'immigration incessante des juifs vers la Palestine exige un développement des moyens de production. Si l'Agence juive accueille les nouveaux arrivants, c'est la Histadrouth qui se charge d'introduire ceux-ci dans les structures de production existantes. Son rôle consiste en ceci: imposer les travailleurs juifs dans les structures de production existantes, ce qui revient à en exclure les arabes et à en créer de nouvelles strucutres en faisant valoir la force du travail juive disponible. Evidemment dans celles-ci, les palestiniens seront interdits de travail. Cette démarche de la Histadrouth, consistant à organiser le "travail juif", est le caractère fondamental de ce mouvement ouvrier. Dans son aspect dominant, il apparaît dès lors comme une instance colonisatrice([33]).

Aile ouvrière du mouvement sioniste, la Histadrouth met tout en oeuvre pour que les immigrants s'insèrent dans les structures économiques existantes: des infrastructures qui concernent le transport des marchandises, le commerce, une organisation des services publics, une agriculture développée par des colonies; et dans celles qui prennent leur essor: petites entreprises, manufactures plus importantes. Elle impose en outre une politique discriminatoire des salariés([34]).

Source : J. GOTTMAN, Etudes sur l'Etat d'Israël et les Moyen-Orient, Ed. A. Colin, Paris, 1959.

    Désormais, l'ouvrier juif percevra un salaire supérieur à celui de l'ouvrier palestinien. Cette politique des salaires (Tableau 3) pose quelques problèmes à la Histadrouth; certaines entreprises en tirent parti en faisant jouer la dynamique ordinaire - dans les rapports de production capitalistes - de la concurrence: elles préfèrent employer la force de travail palestinienne. Certaines colonies doivent se soumettre pourtant en partie à la pression de la Histadrouth. Les incidents de Petha Tikva (la plus ancienne des colonies juives en Palestine), en 1927, témoignent des rapports violents engendrés par la mise en place du "travail juif": "Les planteurs de cette colonie avaient vendu leurs récoltes d'oranges sur pieds aux arabes; ils se refusèrent alors à employer à salaire égal des chômeurs de Tel-Aviv; les "sans-travail" juifs ripostèrent en commettant des actes de violence qui furent réprimés par la police anglaise. Un jugement eut lieu; les chômeurs juifs furent condamnés à des peines de prison légères. Le tribunal déclara en outre que les colons en préférant à des chômeurs sans pain, des arabes qui avaient de quoi s'occuper ailleurs, méritaient d'être moralement condamnés. La pression publique s'ajoutant à cet attendu du jugement, les colons de Petah Tikva durent promettre que désormais ils prendraient parmi les juifs 50 % des ouvriers travaillant à la "récolte". De tels évènements ne sont pas rares. Outre l'imposition du "travail juif", on tend à détourner la production des circuits de distribution arabes vers les circuits de distribution sionistes. Cette réorientation se réalise parfois plus ouvertement: on associe au boycott le sabotage de la production indigène. La direction sioniste n'hésite pas non plus à indemniser au besoin les employeurs afin qu'ils utilisent la force de travail juive, tentant ainsi de mettre fin à la concurrence des travailleurs palestiniens.

Dans les villes, l'industrie naissante reste à l'initiative du capital privé. Les organismes juifs n'ont pas porté leurs efforts sur ce secteur, même en ce qui concerne l'appropriation du sol. Cela engendre d'ailleurs une spéculation de la part des immigrants de la quatrième aliyah qui, contrairement aux pionniers de la vague précédente, sont des petits-bourgeois ruinés par la crise économique et l'antisémitisme qui sévissent en Pologne. Ces jeunes entreprises réalisent d'emblée, sous la pression de la Histadrouth, l'exclusivité du "travail juif". C'est de la même façon que ces manufactures se déploieront en 1932 avec l'arrivée de capitaux détenus par les immigrants de la cinquième aliyah. Mais, dès 1929, au cours de son voyage, E. Vandervelde constate: "Pendant notre séjour à Haïfa, j'avais visité les trois entreprises qui occupent plus de 100 ouvriers: les grands moulins de Palestine, l'usine Shemen pour la production de l'huile, enfin la fabrique des ciments Mesher. Tous ces établissements, fondés par des juifs, sauf à l'usine Mesher où, malgré les protestations de la Histadrouth, on a embauché quelques arabes pour les gros travaux de l'extérieur; de même à Tel-Aviv, où deux entreprises seulement dépassent 100 ouvriers"([35]).

Ainsi la Histadrouth s'affirme comme l'instrument privilégié de l'implantation sioniste. Sa nature est précisée dans ses statuts mêmes: "Il s'agit non seulement d'organiser la classe ouvrière, mais de la créer, de la former et de l'implanter en Palestine". Le nombre de ses adhérents ne cesse de croître. Syndicat ouvrier, elle est plutôt amenée à soutenir la jeune industrie sioniste naissante et à éviter tout conflit de classes qui pourrait nuire au progrès du sionisme. Participant activement à la formation d'une infrastructure pénétrée de l'idéologie sioniste, elle conquiert rapidement une position clé dans l'économie sioniste. Elle développera un caractère original et contradictoire: être à la fois le principal syndicat de défense des travailleurs "hébreux" et l'un des plus gros employeurs du pays([36]).

 

LES CONSEQUENCES DE L'IMPLANTATION JUIVE EN PALESTINE

Dualisme Economique en Palestine:
Une Economie Juive et une Economie Arabe

D'une façon explicite, l'organisation de la base ouvrière du futur Etat a été confiée à la Histadrouth, suivant les trois slogans du "travail juif", de la "conquête de la terre" et du "marché juif". Quels que soient les moyens utilisés pour réaliser cette politique, on peut constater une tendance à la création de deux économies antagonistes, dont l'une cherche à détruire et remplacer l'autre. Cette constatation nous amène à aborder les situations à trois niveaux : celui de la main d'oeuvre arabe, celui des deux secteurs de l'économie palestinienne (le secteur juif et le secteur arabe) et enfin celui de la relation existante entre ces deux économies en Palestine.

Le Slogan du "Travail Juif" et la Main d'œuvre Arabe
Le slogan du "travail juif" a été largement appliqué en Palestine où très peu de travailleurs arabes furent employés dans les entreprises juives"([37]). Dans l'agriculture, l'exception concernait une main-d'oeuvre arabe saisonnière employée dans les plantations d'agrumes appartenant à des juifs([38]). Dans les autres secteurs, l'exception touchait les services gouvernementaux et les grandes sociétés concessionnaires où employés juifs et arabes travaillaient côte à côte. Suivant I. Halevi, "le mouvement sioniste, afin de conserver le caractère juif des entreprises, a, d'une part, mis l'accent sur l'encouragement de l'immigration de juifs orientaux, dont l'origine était essentiellement, jusqu'en 1948, Yéménite([39]). Ceux-ci travaillaient pour des salaires inférieurs à ceux des arabes, tout en remplissant leur fonction d'occupation juive de l'espace socio-économique, c'est-à-dire d'évacuation des palestiniens([40]). Cette expulsion systématique "constitue un impératif économique et social pour les masses de nouveaux immigrants d'Europe Centrale et Orientale, qui n'ont d'autre capital que leurs bras, mais ne sont pas compétitifs par rapport aux travailleurs arabes"([41]). Ce qui va pousser d'autre part, le mouvement sioniste à subventionner les entreprises juives en leur versant la différence de salaires entre arabes et juifs.

Cependant, E.T. Zuriek([42]) rejette la thèse de l'expulsion des arabes du marché du travail juif et adopte la thèse de l'exploitation des palestiniens en se fondant sur l'étude réalisée en 1974 par un économiste israélien, Zvi Sussman([43]), qui montre que sur un total de 5811 ouvriers agricoles travaillant, en 1930, dans cinq grandes colonies sionistes, 53% étaient des ouvriers arabes. Mais, en 1936, Sussmann trouve que 15% de tous les travailleurs employés dans le secteur économique juif étaient arabes: 35% dans l'agriculture, 12,4% dans la construction, 8,7% dans l'industrie, 25% dans les transports et 6,7% dans le commerce et les services([44]).

A. Mansour rejette cette dernière thèse; selon lui, "les données de 1930 ne peuvent pas la justifier, puisqu'elles concernent seulement le secteur agricole et parce que l'enquête de Sussmann n'a été faite que quatre ans seulement après la mise en application de la politique du "travail juif". Ainsi, il défend la thèse de l'expulsion de la main-d'oeuvre palestinienne adoptée par Halévi, en raison du caractère original et non classique de la colonisation juive; "cette colonisation manifeste un trait assez spécifique : elle tend à dominer les palestiniens non pour les exploiter, mais pour les remplacer et les expulser"([45]).

 

L'Existence de Deux Secteurs de l'Economie en Formation : Secteur Juif et Secteur Arabe
Le contact entre les deux secteurs était, au niveau du marché des produits, assez limité. La formation du secteur économique juif s'est développée indépendamment du secteur économique arabe. La période du mandat peut être représentée comme "la confrontation politique entre les deux communautés nationales où chacune d'elles excluait l'autre en maintenant sa propre économie"([46]). Cette négation a été partiellement facilitée par le rôle de médiation entre les deux économies joué par la Grande-Bretagne; celle-ci facilitait le transfert du surplus du secteur palestinien au secteur juif, présenté comme secteur capitaliste selon T. Asaad, au moyen d'une politique fiscale avantageant le second([47]).

En effet, les impôts prélevés par le mandataire sur les propriétés rurales (rural property tax) touchaient beaucoup plus les paysans arabes que les entreprises juives à forte intensité capitalistique. De plus, les impôts indirects ont touché bien plus sévèrement les couches pauvres de la paysannerie. Par ailleurs, la structure fiscale avantageait beaucoup plus les grandes entreprises industrielles appartenant essentiellement à des juifs, aux dépens de la petite industrie et de l'artisanat palestinienne.

Enfin, la destruction totale du secteur palestinien est devenue inévitable dès que la Grande-Bretagne a cessé de jouer le rôle de médiateur dans l'articulation des deux économies (1947) et après que le secteur juif soit devenu dominant économiquement et politiquement([48]).

 

Le Mode d'Articulation des Deux Economies
La relation entre l'économie juive en formation et l'économie arabe est assez complexe et ne peut être traitée de manière classique. Un "cloisonnement" économique existait entre les deux communautés juive et arabe et se manifestait à deux niveaux: celui de l'agriculture et celui de l'industrie([49]).

D'abord, la division était claire dans l'agriculture entre les deux communautés; un cloisonnement entre elles caractérisait les marchés de céréales, de légumes et de fruits. La majeure partie de la récolte de céréales était consommée sur le lieu de la production; les fruits et les légumes produits par les arabes étaient pour la plupart, vendus par des grossistes arabes à des détaillants arabes et ensuite écoulés dans les quartiers et les villages arabes. Ce qui était symétriquement le cas des récoltes des juifs.

Au niveau de l'industrie, la division n'était pas aussi claire que pour l'agriculture. Les articles manufacturés fabriqués par les industriels juifs ont vu leur marché s'étendre à tous les groupes lors de la seconde guerre mondiale qui a eu pour effet de limiter très largement l'importation de produits industriels en Palestine: l'industrie arabe quant à elle, a connu un développement important durant cette guerre; la main d'oeuvre arabe employée dans l'industrie (arabe) est passée de 4117 personnes en 1939 à 8804 en 1942, soit une augmentation de 3%([50]).

Enfin, le secteur économique arabe était très lié au régime colonial; la population arabe dépendait dans une large mesure des services qui lui étaient fournis par la puissance mandataire dans les domaines sociaux, médicaux et de l'éducation. "Alors que la population arabe dépendait du colonialisme britannique, la population juive parvenait, dans les années 40, à une certaine autonomie politique et économique vis-à-vis du pouvoir mandataire et de la population palestinienne"([51]). Le transfert de pouvoir mandataire britannique au mouvement sioniste en 1947 a eu pour effet, l'expulsion par la terreur de la majeure partie de la population arabe et l'expropriation de larges étendues de terres, détruisant ainsi l'économie palestinienne (dans les frontières de 1948): ainsi, cette destruction ne relève pas essentiellement de l'économique, mais plutôt du politique.

De surcroît, il s'avère nécessaire d'étudier la suite de la politique économique israélienne après "l'indépendance"; cette politique a abouti à la destruction totale du secteur arabe en Israël.

 

La Destruction socio-économique du Secteur Arabe en Israël (Frontière avant 1967)

     L'Exclusion des Palestiniens de leurs Moyens de Production
     Traditionnels

Les arabes de Palestine en Israël ne possèdent déjà plus que 40,000 hectares de terre en 1948([52]); la juridiction mise en place par le gouvernement israélien va permettre un accaparement accru de ces terres en toute légitimité. La plupart des terres fertiles - de Galilée notamment - sont saisies par les autorités israéliennes qui ne daignent pas s'intéresser aux terres incultes. La population arabe pourtant est une population fondamentalement rurale: 74,3% des arabes résident en milieu rural, alors que 13,4% seulement de la population juive s'y est installée([53]). La politique agricole israélienne favorise néanmoins l'agriculture juive. Les fonds octroyés par l'organisation sioniste mondiale pour mettre en valeur les sols, pour mécaniser l'agriculture et développer les recherches agronomiques, ne concernent pas les producteurs arabes. Le décalage de l'agriculture arabe et de l'agriculture juive se traduit au niveau de la productivité des terres agricoles arabes et juives:

 Bensimon DORIS et Errera EGLAL, Israël et ses Populations, Ed. Complexe, Bruxelles, 1977.

A la lumière de ce tableau, nous pouvons faire quelques remarques sur la situation comparée des deux secteurs juif et arabe: alors que la population rurale arabe représente plus de la moitié de la population agricole juive, cette dernière possède quatre fois plus de terres cultivées. De plus, si près de la moitié de la surface cultivée juive profite de l'irrigation, cette proportion pour les terres arabes est dérisoire. Ces conditions défavorables pour la population palestinienne se répercutent dans la production: la valeur de la production agricole arabe représente 5,3 % de la production totale israélienne, alors que dix ans auparavant, cette proportion était de 8,2 %. Pourtant, dans une certaine mesure, la productivité de la terre arabe augmente par le contrecoup de la mécanisation. Mais la volonté délibérée du pouvoir israélien de ne pas laisser se développer une production arabe autonome ne fera qu'accroître le décalage entre la productivité de l'agriculture arabe et celle de l'agriculture juive.

La population palestinienne se voit donc écartée quasiment du développement économique très favorable de l'Etat d'Israël; celui-ci bénéfice en effet de transferts de capitaux importants et unilatéraux. Cette paupérisation entretenue par les autorités sioniste s'accentuera d'année en année. Il ne suffira pas pour les autorités de "frapper" les terres et le travail arabes; elles s'efforceront en outre d'asphyxier totalement la production agricole arabe([54]) et les rares établissements industriels qui existaient. Dans le même temps, la population arabe s'accroît très rapidement; or, la surface de terres continue à se réduire. Si la terre ne peut même plus nourrir ses habitants, il faut donc trouver ailleurs, ne serait-ce que les moyens de renouveler sa "force de vie". On assiste alors à un phénomène de prolétarisation "forcée" des masses arabes.

 

La Prolétarisation des Palestiniens dans les Structures Sionistes

Il n'existe pratiquement pas de développement industriel dans le secteur arabe. Les quelques fabriques qui subsistent sont sciemment étouffées peu à peu, nous l'avons vu, par les efforts des autorités israéliennes.

La bourgeoisie arabe qui contrôlait les moyens de production s'était exilée en 1948 dans les Etats voisins. La situation nouvelle engendrée par le sionisme ne permet pas à une bourgeoisie arabe de se développer à nouveau. Aussi voit-on cette force de travail arabe "libérée", se diriger vers les entreprises sionistes. Le processus est simple à décrire: Comme le gouvernement et les institutions sionistes se désintéressent totalement du développement industriel du secteur arabe, 42 % de la population en âge de travailler sont employés à l'extérieur de leur habitat, améliorant ainsi leur niveau de vie qui reste cependant inférieur à celui des salariés juifs([55]). La terre -qui n'assure cependant plus le revenu d'une famille- est cultivée principalement par les femmes et les enfants. Donc, ceux-ci travaillent en nombre croissant en dehors de leurs villages...Cette population active s'insère donc dans les structures de production sionistes. Elle est employée cependant dans des secteurs particuliers. La répartition spécifique des deux groupes ethniques par branches d'activité et son évolution durant la période 1961-1969 ressortent nettement dans le tableau suivant:

 

Tableau 5 : Affectation de la Population Active par Branche d'Activité (1961-1969)

 

sources :    pour 1961 compilés d'après, N. WEINSTOCK, op. cit, p. 384. Pour 1969, D. BENSIMON et alii, op. cit..

En 1961, il est déjà possible de constater la forte concentration de la main d'oeuvre arabe dans l'agriculture, l'industrie et la construction. Sa participation aux autres secteurs restait dérisoire. A cette époque, le secteur le plus important est l'agriculture, où le taux de la population agricole arabe, maintenant salariée, est considérable (46,7 %); la proportion de la main d'oeuvre arabe est légèrement supérieure à celle de la main d'oeuvre juive dans l'industrie et la construction, ouvriers qualifiés compris (on remarque que ce secteur est très important dans la population arabe). Par contre, le quart de la population juive occupe des emplois "nobles" (professions libérales, techniciens, directeurs, employés de bureau) contre 5 % seulement de la population arabe. Cette structure est comparable à celle des Noirs aux Etats-Unis ou -pour rester plus près de notre sujet- à celle des juifs sépharadites.

Huit ans plus tard, si la population agricole globale a quasiment diminué de moitié, elle représente tout de même plus du quart de la population arabe (taux évidemment compris dans son rapport à l'activité générale de cette population); tandis que l'ensemble des ouvriers du bâtiment et des usines dans la population juive tend à se réduire (31,6 %), il s'accroît plutôt dans la population arabe (40,9 %). On perçoit dans les données de 1969 -ce qui n'est pas discernable pour 1961- que le taux de population arabe employée dans le bâtiment et les carrières est presque quatre fois plus important que celui de la population juive dans cette activité ; inversement, les ouvriers arabes des usines sont sensiblement en moindre proportion que les ouvriers juifs. On remarque encore que le secteur des transports est devenu plus important pour la population arabe que pour la population juive. Enfin, la population arabe est plus engagée dans le commerce qu'en 1961 (7,9 %), alors qu'elle diminue quelque peu dans le secteur des services. Malgré une présence affirmée (de 1,3 % à 3,5 %) dans les emplois de bureau, la population arabe, dans l'ensemble, reste écartée des tâches "nobles" (8,6 % contre 33 % pour la population juive).

Ainsi, la population active arabe en Israël devient une population de prolétaires, occupant souvent les emplois les plus ingrats et les plus précaires. Dans les moments critiques, le chômage frappe en premier lieu les travailleurs arabes. En 1966, par exemple, la proportion de chômeurs arabes atteint 10 % des 50 000 ouvriers arabes([56]). En outre, ce nouveau prolétariat est soumis à un "contrôle juif" qui effectue les travaux de responsabilité dans l'économie israélienne.

Les rapports judéo-arabes en Israël revêtent un aspect nettement hiérarchique([57]). Parmi les 1952 fonctionnaires supérieurs des ministères israéliens, y compris les magistrats, recencés en 1961, il y avait exactement deux arabes([58]). La structure sociale de la minorité arabe -forte concentration dans les couches inférieures du travail dit "noir" (construction, main-d'oeuvre agricole), à peine représentés dans les fonctions de supervision et les emplois administratifs supérieurs, nous permet d'observer que le fossé entre les deux sections de la classe ouvrière israélienne se double d'une dimension sociale : les arabes effectuent du travail manuel sous supervision juive.

 

Le Prolétariat Palestinien et la Histadrouth

Comme nous l'avions abordé, le prolétariat israélien juif est rassemblé dans une grande centrale syndicale, la Histadrouth. En 1966, celle-ci change de dénomination: de Fédération Générale des Travailleurs Hébreux, elle devient Fédération Générale des Travailleurs en Terre d'Israël. Mais ce changement d'appellation ne reflète pas une caducité éventuelle des principes idéologiques qui, sous-tendent "l'entreprise Histadrouth". Celle-ci, fondée en 1920, nous l'avions vu, se chargeait avant tout d'organiser le travail juif ; pour cela, elle luttait activement contre la présence des travailleurs palestiniens et développait à leur égard une attitude ségrégationniste([59]). Depuis la création de l'Etat d'Israël, le double sens de sa fonction est affirmé, comme principal employeur et comme syndicat quasiment unique (ne serait-ce que par le fait qu'elle gère les caisses d'assurance-maladie). En principe, elle se doit donc de protéger les travailleurs israéliens de la politique économique de l'Etat.

Mais si l'on observe les principales grèves qui se sont déroulées depuis 1964, il s'avère que les mouvements revendicatifs ont été dirigés manifestement contre la Histadrouth en tant qu'employeur. Son principal rôle en définitive reste toujours la protection des travailleurs israéliens juifs contre les travailleurs arabes/palestiniens([60]). Elle se comporte comme un organe régulateur de la société israélienne qui permet de contenir, en période de chômage par exemple, le mécontentement israélien/juif (les premiers ouvriers touchés sont alors les palestiniens). Jouant sur le phénomène de concurrence travail juif/travail arabe, elle œuvre à endiguer l'éventuelle contestation de la population misérable juive orientale.

Ainsi, l'emploi de la main d'oeuvre arabe ne remet pas fondamentalement en cause le principe sioniste du travail juif. Il ne peut guère en être autrement en raison du rôle historique joué par la Histadrouth dans le mouvement de colonisation sioniste([61]). L'actuelle singularité de cette histoire provient de la confusion des responsabilités entre les instances qui détiennent les clefs de l'Etat et celles de la Centrale. Le développement de la Centrale est subordonné aux subsides de l'Agence juive. Le pouvoir de décision reste alors très centralisé; il est aussi conforté par le système d'élections à la proportionnelle qui favorise les "têtes" du mouvement sioniste. On peut chercher en vain une quelconque consultation des travailleurs israéliens eux-mêmes. Ceux-ci se voient d'ailleurs exiger par la Histadrouth une sorte de taxe politique qui est ensuite versée dans les caisses de chaque partie sioniste. On ne peut donc considérer les possibilités d'admission des travailleurs arabes dans la Histadrouth comme un réel progrès.

Par ailleurs, il est impossible de voir le problème sous l'angle économique ou sous l'angle politique économique, parce qu'il s'avère qu'il y a une stratégie, répétons-le, qui ne relève pas essentiellement de l'économique mais du politique. Ainsi, le caractère résolument discriminatoire de la politique israélienne affecte non seulement l'aspect économique de la population arabe mais aussi sa vie sociale, politique, etc. En effet, cette politique sioniste interdit à la population arabe prolétarisée de vivre sur son lieu de travail; les logements sont réservés aux seuls juifs et l'application de ces mesures est facilement réalisable : il suffit de faire appel à l'une des lois ségrégationnistes, d'urgence ou de défense. Les travailleurs palestiniens se voient donc condamnés à un va-et-vient incessant entre leur lieu de travail et leur lieu de résidence. Les villages se transforment ainsi progressivement en cités-dortoirs([62]). Si les villes israéliennes et les colonies agricoles sionistes constituent l'univers économique des arabes/palestiniens en Israël, les villages apparaissent comme l'espace où s'exprime la vie sociale des ouvriers palestiniens. Celle-ci organise la prise de conscience de l'exploitation sioniste et produit aussi bien les formes de son dépassement. En définitive, la ségrégation organisée qui sévit en Israël maintient la population palestinienne dans une altérité qui s'affirme ouvertement dans la vie au village.

A la création de l'Etat d'Israël, les structures palestiniennes se sont trouvées bouleversées, et le sens fondamental de la "Hamula" détruit([63]). Les aspects de cette formation sociale reflétaient avant tout une organisation communautaire des forces productives. Avec le déplacement de la force par le système sioniste, la Hamula perd sa signification profonde. Elle se maintient pourtant mais revêt maintenant des formes de modernité, dont le caractère premier se laisse voir dans la non correspondance de cette structure familiale avec le développement des forces productives impulsé par le colonisateur. Un double mouvement permet à cette forme ancienne d'organisation sociale de ne pas disparaître.

L'un peut être discerné depuis la structure palestinienne proprement dite: les chefs de famille conservent une autorité qui s'appuie sur des caractères idéologiques traditionnels. Et, dans ce même temps, le pouvoir étatique israélien cultive les rivalités ancestrales entre les différentes familles. Pour dominer et contrôler parfaitement la société palestinienne, les autorités "achètent" les chefs de famille. Ainsi, on peut voir les partis politiques sionistes "s'offrir" une clientèle. Cette manipulation des structures palestiniennes se renforce avec l'autorisation de créer des conseils municipaux (majlès), élus par les membres de la population locale âgés au moins de 18 ans. Dans les premiers temps, les Anciens seront effectivement élus. La Hamula s'était pourtant affaiblie avec l'apparition d'une exogamie importante au moment de l'exode de 1948. Un instant menacé par la désorganisation globale de la société palestinienne, la structure traditionnelle se renforce bientôt grâce à la croissance remarquable de cette population. Désormais, le voisinage est habité de cousins, ce qui permet une réapparition de l'endogamie. Elle se produit à partir des années 1965-1966 et le mariage préférentiel se développe à nouveau. Il faut ajouter que le montant de la dot reste toujours plus faible lorsqu'on épouse une cousine plutôt qu'une étrangère. La présence d'une économie développée en Israël engendre un accroissement de la valeur de la dot. L'impossibilité pour les jeunes de pourvoir à sa constitution favorise le maintien de l'autorité patriarcale. Mais cette situation s'accompagne aussi d'un renforcement de quelques modes anciens de relations (comme la pratique du Badal([64]) qui prennent un nouveau sens. Cette autorité du chef de la Hamula est bientôt mise en cause avec le développement du salariat. Ce sont les fils, désormais, qui possèdent l'argent. Cette évolution de la structure familiale engendrera aussi quelques modifications dans la répartition des pouvoirs à l'échelle du village. Elles influenceront par là-même les relations politiques entre les pouvoirs locaux palestiniens et le pouvoir central israélien.

On assiste donc dans la société palestinienne à un processus de destruction/renforcement de certaines formes superstructurelles. Cette dynamique originale -qui s'inscrit toutefois dans les valeurs traditionnelles- préserve l'identité de la population palestinienne en Israël([65]).

Cette population en Israël supporte aussi, dans le domaine politique, la discrimination entretenue par les autorités israéliennes. Celles-ci ont recours, pour briser toute tentative d'organisation des palestiniens, à diverses méthodes: elles procèdent à un fractionnement de la population en communautés druze, circasienne, chrétienne, musulmane et octroient à certaines quelques privilèges; elles renforcent les particularismes dans les villages en interdisant toute possibilité de communication entre eux; elles accordent des régimes de faveur aux chefs de communautés et aux chefs de Hamulas. Les seules organisations tolérées sont les "secteurs arabes" aménagés par les partis politiques. La manipulation est permanente et le dynamisme de ces partis ne dépasse guère les échéances électorales. Le Parti Communiste Israélien, le Maki, regroupe toutefois un électorat arabe disposant d'un "libre-choix". Ce parti de type stalinien est parfaitement aligné sur les positions soviétiques. Bien qu'il ait soutenu la création de l'Etat d'Israël, ses prises de position par ailleurs anti-sionistes -la déclaration en 1953 affirmant le droit au retour de tous les réfugiés et la légitimité pour les palestiniens de faire sécession- lui ont permis d'acquérir une certaine popularité puisqu'on y rencontre les composantes juive et arabe; ce parti reste relativement à l'abri d'une dissolution de la part des autorités israéliennes. Une scission interne en 1965 rejettera les éléments sionistes. Le Parti Communiste Israélien officiel deviendra le Rakah, et le Maki se dissoudra une dizaine d'années plus tard.

Les palestiniens cependant cherchent à mettre en place des organisations nationalistes dégagées des structures officielles de l'Etat sioniste. Mais le pouvoir israélien ne permettra pas le développement de telles associations, il emploiera tous les moyens dont il dispose pour mettre un terme à toute tentative d'organisation politique autonome des citoyens arabes([66]).

En définitive, on peut dire qu'avec la création de l'Etat d'Israël, la majeure partie du peuple palestinien est contrainte à un exode qui signifie aussi bien la destruction quasi-radicale des structures économiques que sociales et politiques dans lesquelles il vivait. Toutefois, une partie de ce peuple ne subit pas cette expulsion brutale de sa terre. Les autorités israéliennes accordent d'ailleurs la citoyenneté israélienne à cette population; mais loin de garantir les droits civiques que confère cette décision([67]), l'Etat israélien maintient plutôt la population arabe dans une exclusion permanente des possibilités de développement dont il dispose. Si la force de travail arabe, privée de ses structures traditionnelles de production, se disperse dans l'économie israélienne, elle est utilisée uniquement pour servir les intérêts sionistes. Les formes capitalistes que s'offrent généreusement l'Etat d'Israël ne parviennent pas à masquer la force impérieuse de l'idéologie dont il est le fait.

 

[1] Léon PINSKER, "Autoémancipation", traduction française par Schulsinger, le Caire, 1944, Collection les écrits juifs, p.69 s., cité par Maxime RODINSON, "Israël, fait colonial ?", in Les Temps Modernes, no.253 bis, Paris, 1967, p. 29. Une deuxième traduction de l'allemand par André Neher, Département des Publications de l'Agence Juif, Jérusalem, 1956 (Berlin, 1882), pp. 54-55, citée par Uri EISENZWEIG, Territoires occupés de l'imaginaire juif, Editions Christian Bourgeois, Paris, 1980, p. 26 et p. 109. Théodore HERZL, L'Etat juif, Lipschutz, 2ème édition, Paris, 1926, cf. pp. 92-95. A la suite de la parution de cette brochure en 1886, Herzl sera à l'origine de la création de l'Organisation sioniste mondiale, au Congrès de Bâle, en 1897. Ber BOROKHOV, Classe et Nation, 1905. Il a essayé d'expliquer et justifier d'un point de vue marxiste les aspirations nationalistes de l'idéologie sioniste ; le "borochovisme" a inspiré la gauche sioniste, mais sa valeur fut mis en question par Abraham LEON, la conception matérialiste de la question juive, EDI, Paris, 2ème édition, 1980. Pour Borokhov, l'histoire du peuple juif est l'histoire du peuple comme peuple bourgeois et de son incapacité à s'engendrer comme classe prolétaire dans les conditions réelles du développement du capitalisme. Il s'agit, donc pour lui, de façonner, de trouver un lieu et d'organiser les circonstances qui feront du peuple juif, un peuple animé de contradiction de classes. Il proposa l'Ouganda comme territoire, celle-ci fut sérieusement considérée comme lieu d'implantation par le Congrès sioniste en 1904-1905. Cf. Uri EISENZWEIG, idem, p.109.

[2] Cf. Uri EISENZWEIG, ibid, particulièrement les pages : 20, 23, 24, 26, et 109.

[3] Nous faisons allusion à la poussée antisémitique soudaine de la fin du XIXème siècle (les pogroms de 1881 en Russie et l'affaire Dreyfus en France).

[4] On se reportera au mouvement historique dans lequel évoluait la population juive des pays d'Europe occidentale et d'Europe orientale. Cf. Abraham LEON, op. cit., pp. 146-153.

[5] T. HERZL, op. cit., in Ch. et Ph. PINEAU, Le procès d'expulsion du peuple palestinien, mémoire, Université Paris VIII, Département sociologie, 1978, p. 50.

[6] Pour un résumé des thèses de ces théoriciens, on pourra se reporter à l'excellent ouvrage de Nathan WEINSTOCK, Le sionisme contre Israël, Editions François Maspero, Paris, 1969, pp. 39-61.

[7] Selon l'analyse marxiste de Ber BOROKHOV, déjà cité, cf. supra. Cf., aussi, N. WEINSTOCK, op. cit., p. 59. La réalité va infirmer le marxisme utopiste de Borokhov : Les prolétaires sont les indigènes de l'Etat des juifs (le Petit Israël), les Libanais du sud et les Egyptiens et d'autres seront les prolétaires du (Moyen Israël) et tous les Arabes y compris les Indo-Arabes des Monarchies pétrolières seront abrités dans des "réserves", pour former ou constituer le futur prolétariat du (Grand Israël). Il faudra cinquante ans pour en arriver là ...

[8] Formule qui s'inspire du précédent libanais selon Maxime RODINSON, "Israël fait colonial ? ", op. cit., pp. 32-33. Texte du programme de Bâle dans Israël COHEN, le mouvement sioniste, Paris, 1946, pp. 70-71. In Nathan WEINSTOCK, op. cit., pp. 51-52.

[9] Israël COHEN, op. cit., p. 17.

[10] Cf. Henry LAURENS, "Genèse de la Palestine mandataire", in Maghreb-Machrek, no.†140 (avril-juin 1993), la Documentation Française, Paris, 1993, p. 3.

[11] Adam GARFINKLE, "On the Origin, Meaning, Use and Abuse of a Phrase", Middle Eastern Studies, vol. 27, n°†4, october 1991, pp. 539-550. "L'expression "un peuple sans terre pour une terre sans peuple" (variante : "le peuple sans terre pour la terre sans peuple") a pour premier auteur connu, Lord Shaftesbury (1801-1885), un millénariste protestant qui a milité, dans le cadre de l'accomplissement des Prophéties, pour le retour des Juifs en Palestine, lors de la crise d'Orient de 1840. En 1853, à la veille de la guerre de Crimée, il écrit que la Syrie est pays sans nation qui doit être donné à une nation sans pays, le peuple élu par Dieu". Cf. H. LAURENS, idem., p. 4.

[12] Alexander SCHÖLCH, "Le développement économique de la Palestine : 1856-1882", in Revue d'Etudes Palestiniennes, no.10, Paris, été 1983, pp. 93-113. Cf., aussi Dominique CHEVALIER, la société du Mont Liban à l'époque de la révolution industrielle en Europe, Maisonneuve et Larose, Paris, 1972, chap. VIII.

[13] Cf. Zakaria FAWAZ, La monnaie, la politique monétaire et l'inflation de la Palestine à Israël (1917-1960), thèse de Doctorat, Faculté des sciences économiques, Université de Poitiers, 1992, pp. 94-103.

[14] Cf. Vital CUINET, Syrie, Liban Palestine. Géographie administrative, statistique, descriptive et raisonnée, Ed. Ernest Leroux, Paris, 1896, pp. 178-196. Cf. aussi, Antoine MANSOUR, Palestine : une économie de résistance en Cisjordanie et à Gaza, Ed. L'Harmattan, Paris, 1983, p. 12.

[15] Durant la "période de Rothschild" (prend fin 1900), il y a eu une utilisation massive de la main-d'oeuvre arabe ; celle-ci "est tellement bon marché qu'il serait stupide de travailler la terre de ses propres mains !", mais d'autres facteurs vont intervenir pour stopper la poursuite de l'entreprise sioniste sur des pareilles bases, celle-ci aurait abouti tout naturellement à une situation coloniale typique, comme en Algérie ou en Rhodésie. Cf. Nathan WEINSTOCK, op. cit., pp. 79-80.

[16] Y.T. COLTON, "La question juive et sa solution", 1932. Colton, un des théoriciens du parti communiste palestinien (P.C.P.), a été le premier à développer d'une façon brillante l'analyse de ce qu'il a appelé la "société parallèle". Comme des fondateurs et dirigeants du P.C.P., il sera assassiné dans les années 30 comme "trotskiste".

[17] L'instrument principal de la colonisation agricole. Il a été créé par décision du cinquième congrès sioniste (décembre 1901). Le K.K.L., alimenté par les contributions individuelles de milliers de foyers juifs de par le monde (la petite cagnotte bleue) reprend la tradition des collectes de bienfaisance pour la Palestine. L'idée d'un fonds d'achat des terres avait été lancée dès 1894 par le professeur Hermann SCHAPIRA. La réalisation du projet met en place "la cheville ouvrière" commandant l'œuvre de colonisation. Adolf BÖHM, "Le Kéren Kayémeth Léisraël", Paris, 1931, p. 31. In N. WEINSTOCK, op. cit., p. 82.

[18] Le Fonds National Juif (K.K.L.).

[19] N. WEINSTOCK, idem,, p. 52.

[20] Les baux relatifs au "sol national" stipulent que le lot de terre doit être cultivé par le fermier lui-même à l'exclusion de toute main-d'œuvre étrangère. Dès les années vingt, l'article 11, du contrat-type utilisé, interdit d'engager toute main-d'œuvre extérieure à l'exception d'ouvriers agricoles juifs. Cf. les Clauses citées par M. ABCARIUS, Palestine through the Fog of Propaganda, London, 1946, p.131. In WEINSTOCK, ibid, p.83.

[21] Une terre "Mahloul" est une terre qui retourne à l'Etat si elle n'est pas cultivée pendant trois années consécutives. Cf. FISCHER, Ottoman lands laws, Oxford, 1919, in Moussa DOUGHAN, "la propriété de la terre en Palestine", in Saïd HIMADEH, Economic organization of Palestine, American University of Beiruth, 1938, pp. 97-134.

[22] La terre "Mewat" appartenait à celui qui la vivifiait. Cf. Zakaria FAWAZ, thèse, op. cit., pp.32-49.

[23] Cf. Nathan WEINSTOCK, op. cit., pp. 92-93.

[24] Maxime RODINSON, "Israël, fait colonial ?", op. cit., p. 78.

[25] Yishouv signifie en hébreu "établissement, installation dans un lieu habité (en anglais settlement), localité, colonie"; le mot s'appliquait tout spécialement à la société formée par les juifs installés en Palestine. On distinguait souvent "le vieux Yishouv" c'est-à-dire ceux qui y résidait avant 1880, venus pour la plupart s'installer là pour des raisons religieuses, et "le nouveau Yishouv", c'est-à-dire ceux qui immigrèrent plus tard, le plus souvent pour des raisons de type nationaliste, le sionisme. Cf. M. RODINSON, "Un cas très particulier de l'histoire de la décolonisation, la Palestine", in Hérodote, no. 29/30, Paris, p. 200. Cf. aussi : M. RODINSON, "Israël, fait colonial ?",op. cit., pp. 78-79. Cf. aussi, son ouvrage : Israël et le refus arabe : 75 ans d'histoire, Ed. du Seuil, Paris, 1978.

[26] Cf. M. RODINSON, "Israël, fait colonial ?", op. cit., pages 47, 49, 54, 55, 56, et 71. Cf. aussi, Israël et le refus arabe : 75 ans d'histoire, op. cit., p. 33.

[27] H. DARIN-DRABKIN, le kibboutz société différente, Ed. du Seuil, Paris, 1970. David CATARIVAS, Vivre au kibboutz, Ed. stock, Paris, 1983. E. BEN-RAFAEL, M. KONOPNOCKI et P. RAMBAUD, le kibboutz, P.U.F, coll. que sais-je ? Paris, 1983.

[28] Cf. Nathan WEINSTOCK, op. cit., pages 52, 82 et 83.

[29] E. BEN-RAFAEL, M. KONOPNICKI, RAMBAUD, Le Kibboutz, P.U.F., Que sais-je, Paris, 1983 ; D. CATARIVAS, Vivre au Kibboutz, Ed. Stock, 1983.

[30] Maxime RODINSON, Israël, fait colonial ?, op. cit., p. 71.

[31] Cf. L'histoire de cette colonisation in, Israël MARGALITH, Le Baron Edmond de Rothschild et la Colonisation Juive de la Palestine, 1882-1899, Librairie Marcel Rivière, 1957 ; M. RODINSON, "Israël, Fait Colonial ?", op. cit., pp. 17- 88.

[32] Nous usons de cette analyse pour sous-entendre que l'implantation de l'économie juive répond au besoin des économies coloniales. Sur ce sujet, cf. M. RODINSON, op. cit., p. 45-54.

[33] La Histadrouth (Fédération Générale des Travailleurs Juifs de Palestine) est créée en 1920. Il s'agit d'un syndicat à base ethnique, destiné à promouvoir le sionisme et le travail juif.[Cf. N. WEINSTOCK, op. cit., p.142]. Elle fonctionnait déjà en 1920, comme un entrepreneur capitaliste, banquier, assureur, propriétaire foncier et faisait fonctionner une sorte de sécurité sociale [ M. RODINSON, p. 54.]. En 1946, un Libanais pouvait soutenir devant l'Ecole française de droit de Beyrouth une thèse de Doctorat sur : Les éléments de formation d'un Etat juif en Palestine, en relevant les caractéristiques étatiques du Yishouv et particulièrement son syndicat, la Histadrouth. Cf. Robert Abdou GHANEM, "les éléments de formation d'un Etat juif en Palestine", Société d'édition, Beyrouth, 1946.

[34] La transformation de la société palestinienne due à la pénétration sioniste pousse un nombre important de "fellahin" vers les villes. Bien que faisant preuve de beaucoup de zèle, l'administration mandataire ne peut chasser brutalement une force de travail palestinienne qui s'est implantée avec une vigueur désespérée dans les villes et surtout les villes portuaires. Notons aussi que des auteurs de bonne foi soulignent que la politique "d'Apartheid économique" pratiquée par la Histadrouth a suscité dès les 1920 un vif ressentiment du côté arabe...Cf. Norman et Helen BENTWICH, Mandate Memories, 1918-1946, London, 1965. Cf. aussi, Palestine Royal Commission Report, pp. 58-59, cité par N. WEINSTOCK, op. cit., pp. 124-125.

[35] Emile VANDERVELDE, Le Pays d'Israël. Un Marxiste en Palestine, Editions. Rieder, Paris, 1929. Cf. aussi N. WEINSTOCK, op. cit., pp. 80-81.

[36] Sur l'importance actuelle de la Histadrouth. Cf. Pierre ROUSSELIN, "Israël : relève de génération à la Histadrouth", in LE FIGARO-ECO, 15 juin 1994.

[37] Antoine MANSOUR, Palestine : une Economie de Résistance en Cisjordanie et à Gaza, Ed. L'Harmattan, Paris, 1983, p. 19.

[38] D. KALAYI, "la deuxième alyah", in le mouvement ouvrier juif en Israël, édité par le Merkaz-Hechalouts de France, 1949, pp. 55-56, cité par N. WEINSTOCK, op. cit., pp. 79- 80.

[39] N. WEINSTOCK le mentionne aussi, idem, p. 81.

[40] I. HALEVI, Question juive : la tribu, la loi, l'espace, Les Editions de Minuit, Paris, 1981, p. 213-214.

[41] I. HALEVI, Question Juive. La Tribu, la Loi, l'Espace, Ed. de Minuit, Paris, 1981, pp. 213-214. Cf. aussi, N. WEINSTOCK, ibid, p. 83.

[42] Elia T. ZUREIK, The Palestinians in Israël, a Study in Internal Colonialism, Routledge Kegan Paul, London, 1979, pp. 54-55.

[43] Zvi SUSSMAN, Wage differentials and equality within the Histadrouth, Massada Press, Israël, 1974.

[44] Elia T. ZUREIK, "Reflections on twentieth-century Palestinian class structure", in the sociology of the Palestinians, Croom Helm, London, 1980, p. 54.

[45] A. MANSOUR, Palestine : une économie de résistance en Cisjordanie et Gaza, op. cit., 21.

[46] Talal ASAAD, "Anthropological texts and ideological problems", in Economy and Society, vol. 4, no. 3, august 1975, p. 262.

[47] Talal ASAAD, "Anthropological texts and ideological problems", idem, p. 262.

[48] Rappelons qu'en dehors de la politique suivie par les autorités mandataires dans le domaine agricole et industriel, le secteur juif possédait ses propres institutions qui lui assuraient les moyens techniques et financiers nécessaires, et se basait sur un programme clair ; le secteur arabe est resté désarticulé, isolé et privé de toute aide technique ou financier. A ce titre le secteur juif bénéficiait de l'aide de 93 sociétés coopératives de crédit par contre , le secteur arabe est resté à la merci des usuriers ... Cf. Z. FAWAZ, la monnaie, la politique monétaire et l'inflation ... , thèse, op. cit., pp. 88-102, notamment, p. 93, 98, 196 et 231.

[49] A. MANSOUR, op. cit., p. 23.

[50] Gouvernment of Palestine, A Survey of Palestine, vol. I, The Government Printer, Jerusalem, 1945-1946, p.507.

[51] Ian LUSTICK, Arabs in the Jewish State, University of Texas Press, Austin, 1980, p. 154.

[52] En fait, lors de la création de l'Etat, les arabes possédaient 110 000 ha.,70 000 ont été expropriés. Yitzhak ODED, "Land Losses among Israel's Arab Villagers", New Outlook, Vol. VII, no. 7 (65), sept. 1964, p. 21. Cf. Nathan WEINSTOCK, op. cit., p. 375 et p. 382.

[53] Joseph KLATZMANN, Les enseignements de l'expérience israélienne, P.U.F., Paris, 1963, p. 279. Cf. N. WEINSTOCK, idem, pp. 382-383.

[54] En fait, la commercialisation des produits agricoles arabes est monopolisée par un organisme étatique, La Tnouva, éliminant ainsi un concurrent potentiel. A noter que la Tnouva est une filiale de la Histadrouth. Cf. N. WEINSTOCK, op. cit., p. 404.

[55] Nathan WEINSTOCK, Le Sionisme contre Israël, Ed. Maspero, Paris, 1969, p. 390.

[56] N. WEINSTOCK, op. cit., p. 391.

[57] Cf. Alex WEINGROD, Israël. Group relations in a New society, London, 1965, pp. 71-72.

[58] Statistical Data Relating to the integration Problem of the Arab Minority in Israël, Background Material Prepared for the Symposium on "New Paths to Peace Between Israël and the Arabs", by the Editors of New Outlook. Cité par N. WEINSTOCK, idem, p. 386.

[59] N. WEINSTOCK, ibid, p. 385.

[60] TAUT et WARSHAWSKY, "Origines et Dynamique du Sionisme", Quatrième internationale, janvier, février et mars 1982, no. 7-8.

[61] Pour une analyse détaillée de la Histadrouth, cf. J. TAUT, "la Nature de Classe de la Histadrouth", Hébreu, Cahiers rouges, no.†19, Jérusalem, 1977.

[62] Emmanuel FARJOUN, "Les Ouvriers Palestiniens dans l'Economie Israélienne", Revue Khamsin, 1980, no. 7 (en arabe).

[63] Nous usons de ce concept dans une "acception superstructurelle", au sens large du terme, la Hamula est la famille élargie. Pour plus de détail, cf. Hilma GRANQUIST, Marriage Conditions in a Palestinian Village, Ed. Helsingfors, 1931 ; Birth and Childhoud among the Arabs, Studies in a Muhammadan Village in Palestine, Ed. Helsingfors, 1947 ; Child Problems among the Arabs, Studies in a Muhammadan Village in Palestine, Ed. Helsingfors, 1950.

[64] Mariage par "substitution" : processus par lequel deux hommes se marient en échangeant leurs sœurs ou cousines respectives. C'est un moyen de ne pas payer de dot. Cf. Hilma GRANQUIST, op. cit.

[65] Ilan HALEVI, Sous Israël, la Palestine, Ed. du Sycomore, Paris, 1978.

[66] Publications de l'Organisation de Libération de la Palestine (O.L.P.) en arabe (Affaires Palestiniennes, Liberté, Solidarité, La Révolution).

[67] Ilan HALEVI, op. cit.