Moscou et Pékin : Sur les Rails d’une Compétition Hégémonique?

Moscou et Pékin : Sur les Rails d’une Compétition Hégémonique?
Préparé par: Joseph el Sokhon
Chercheur en sciences politiques

Introduction

Les sphères d'influence ont une fonction essentielle dans le maintien de l'ordre et de l'équilibre des pouvoirs dans le système international. Celle-ci se traduit par la préservation de la paix mondiale et de la prospérité globale. Avec la montée en puissance de la Chine et de la Russie, l’ordre actuel subit une pression intense à cause du rééquilibrage des puissances mondiales.

Depuis trois décennies, le processus de coopération entre la Chine et la Russie est devenu plus complexe, dynamique et étroitement dirigé sur des questions d’intérêts vitales. Malgré les points de divergences sur les deux crises ukrainienne et syrienne, certains théoriciens font remarquer que ces deux puissances émergentes coordonnent actuellement leurs politiques sur un large éventail de questions. Ainsi, les entreprises chinoises ont eu accès aux ressources énergétiques de la Russie par le biais de l’investissement au cœur même du pays. Puis, la Russie a accepté de vendre à la Chine des systèmes d’armement de plus en plus sophistiqués et a permis la pratique d’exercices navals conjoints en Méditerranée, dans la mer de la Chine méridionale et dans la mer du Japon.

Les propositions de certaines écoles de pensée en relations internationales se révèlent incapables de répondre à cette problématique étant: la stabilité mondiale; par ce fait le courant réaliste a réussi à trouver un cadre théorique qui explique dans le même temps ces changements dans la politique internationale et aide à prévoir l'avenir de ces politiques. L’école réaliste suppose que les Etats déterminent leurs intérêts nationaux en fonction des rapports de forces existants entre eux et ceux de leurs rivaux. Selon cette école, les Etats ont une certaine uniformité dans les calculs de leurs intérêts nationaux en fonction de leurs jugements de pouvoir par rapport à leurs concurrents. La perception de leur sécurité est conditionnée par l'évaluation des relations de pouvoir entre états voisins ou concurrents.

Ainsi, lorsque la Russie recalculera son intérêt national en comparant sa force relative à la force de ses concurrents voisins, notamment la Chine, Moscou abandonnera sa coopération avec la Chine et se retrouvera dans les décombres de la concurrence acharnée qu’elle mène avec cette dernière. Précisément, au moment où Pékin reviendra à sa position historique dans la production économique mondiale, Moscou unifiera ses visions pour les intérêts de leur Etat, notamment en redéfinissant leur sécurité nationale, en réévaluant leur rapport de force et de puissance avec les forces adjacentes et en concurrence avec eux. De là, au fur et à mesure, apparaitra une divergence liée à des aspects économiques et sécuritaires entre Moscou et Pékin, en faveur d’un chemin de rivalité entre elles.

D’ici quinze ans, l’économie chinoise dépassera celle des États-Unis d’Amérique pour devenir la plus puissante au monde. Quelles trajectoires prendraient les relations entre la Russie et la Chine: coopération ou compétition ? Plus précisément, les liens politiques et économiques étroits entre la Russie et la Chine formeraient-ils une «alliance sur une base égale et durable», ou bien se croiseraient-ils pour ressembler plus aux relations entre colonie et métropole?

Dans ce dernier cas, Moscou serait-elle en mesure d’accepter une relation inégale avec Pékin qui représentera dès lors une force économique et militaire montante non seulement sur le continent asiatique mais aussi au-delà, ou bien reviendra-t-elle au processus traditionnel d'interactions fondées sur la rivalité pour empêcher Pékin de devenir une puissance hégémonique?

 

1-"L'Hégémonie": l'Objectif Ultime des Puissances Mondiales

Dans son ouvrage "la lutte pour la maîtrise en Europe 1848-1918", A.J.P. Taylor affirme que, dans l’état naturel imaginé par Hobbes, la violence était la seule loi et la vie était "sale, brutale et courte"[1]. Bien que les individus n'aient guère pris conscience de cet état de choses, les superpuissances européennes ont toujours vécu dans cette situation, bien qu’il n’y ait jamais eu un seul pays assez puissant pour engloutir le reste des nations […].

Pour Hobbes, la seule solution présentée était de donc de créer une force unique, supérieure, "Léviathan", capable de soumettre les autres nations au moment où d’autres philosophes tentaient de remplacer l’autorité de la souveraineté des Etats par une autorité plus forte, tels que le droit moral universel ou ce que l’on appelle le droit international public. Pour David Hume, en revanche, le souci de maintenir l'équilibre des pouvoirs a toujours été le catalyseur du jeu diplomatique, en particulier dans la formation des alliances, de sorte que les Etats ne transgressent pas les règles du droit international, gage de leur équilibre.

Hans Morgenthau, le père du paradigme réaliste dans le domaine des relations internationales, définit la politique internationale comme étant tout simplement une lutte pour le pouvoir[2]. Quels que soient les objectifs de la politique en question, la force reste la cible immédiate, souligne Morgenthau. Les hommes d'Etat doivent assurer la liberté, la sécurité et la prospérité. Ils peuvent user des termes religieux, philosophiques ou économiques pour décrire leurs objectifs puis manifester leurs aspirations par un pouvoir mystique, ou une intervention divine, et y aboutir, finalement, grâce à une coopération, institutionnelle ou non. Il convient de porter l’attention sur le fait que la lutte pour atteindre ces objectifs se fait par et pour le pouvoir. Leur choix d’accéder au pouvoir, les a menés à devenir des acteurs sur la scène internationale.

Cette définition limite l’objet de la recherche et ne clarifie pas suffisamment pourquoi les Etats veulent devenir dominants.

Afin de mieux analyser l’ultime cause qui pousse les États à devenir dominants, John Mearsheimer, un membre de l'école néoréaliste en relations internationales, déclare clairement: l’objectif des nations à devenir dominants a pour finalité l’obtention et l’appropriation exclusive de la superpuissance dans le système international[3]. Cette position sur la scène internationale va leur permettre d’imposer certaines règles de conduite adéquates à leurs intérêts et objectifs et de créer un modèle de coopération internationale conforme à leurs intérêts. Et ce, dans le but de réduire le chaos dans la structure du système international résultant du conflit existant entre ses unités bases.

En d’autres termes, pour qu’un système international soit stable, il lui faut un stabilisateur / équilibreur unique, à l’image reproduite par Kindleberger[4]. Toutefois, ces puissances dominantes ou hégémoniques n’ont historiquement émergé qu’après la fin d’une guerre mondiale, c’est-à-dire pendant la période de paix. Alors, la guerre est-elle le seul moyen pour qu’il y ait un seul stabilisateur ou «hégémon» dans les systèmes internationaux, ou existe-t-il d’autres moyens aussi ? Or, avant d’envisager ces moyens, il convient de définir l’hégémonie. Qu’est-elle exactement ? Suit-elle un processus de formation bien déterminé?

«L’hégémonie» est définie comme «une situation dans laquelle un Etat est si puissant qu'il maintient et respecte les règles de base pour la gestion des relations entre les Etats». En termes économiques, Emmanuel Wallerstein a décrit l’hégémonie comme une «situation dans laquelle les produits d’un Etat primordial donné sont issus de manière si efficace qu’ils sont globalement compétitifs, même dans d’autres Etats primordiaux, et, par conséquent, cet Etat primordial sera le principal bénéficiaire d’un marché mondial libéralisé au maximum».[5] Ceci est relatif à deux critères:

• La capacité technologique;

• Le contrôle politique sur des ressources premières cruciales.

Il existe quatre types de ressources indispensables à la réalisation des critères susmentionnés: «les puissances dominantes doivent contrôler à la fois les matières premières, les sources de capital et les marchés, ainsi que les avantages concurrentiels dans la production de biens de grande valeur». L'importance de contrôler les sources de matières premières était la justification traditionnelle de l'expansion géographique et de l'impérialisme, ainsi que l'extension de l'influence informelle. Comme la Chine le fait actuellement dans la mer de Chine méridionale, au Moyen-Orient et en Afrique: elle tente de contrôler ou plutôt de sécuriser son contrôle sur les matières premières et de s’emparer des ports d’autres pays[6], afin d’établir ses "nouvelles routes commerciales" qui augmenteraient sa croissance économique.

De plus, la taille du marché d'un pays est très importante pour les importations. L’ouverture ou la fermeture des marchés aux importations d'un autre pays constitue une arme importante que McKeon décrit comme «l'arme puissante et historique du pouvoir économique»[7]. Mais, cela ne signifie pas que «l’Etat dominant ayant un avantage économique concurrentiel exporte tout, mais limite ses exportations aux biens les plus lucratifs qui lui fournissent une plus grande capacité de production à l’avenir»[8]. En fait, ces ressources appartenant à l'Etat lui permettent, dans le cadre de sa politique étrangère, de modifier certains arrangements et de maintenir les autres dans le système international.

Par exemple, durant les dix dernières années, la Chine est devenue également le principal fournisseur mondial de services et de fabrication de biens, parallèlement à la Russie qui est devenue elle aussi un des plus grands fournisseurs mondiaux de matières premières (énergie).

La Chine n'a plus besoin de compter sur l'aide étrangère. Ce pays est devenu l’un des principaux donateurs de l’aide au développement. Le montant de l'aide fournie par Pékin s’élève à 350 milliards de dollars durant quinze ans (2000-2014).

La Chine, pareillement à d’autres donateurs, poursuit plusieurs objectifs, dont le plus important est géopolitique afin d'étendre son influence sur les marchés commerciaux et d'obtenir des matières premières et sécurisées pour les transporter et les stocker. Ceci est actuellement réalisé avec plus de 4 300 projets dans 140 pays et territoires comprenant l’Asie centrale, les îles du pacifique, l’Afrique et le Moyen-Orient[9].

Cependant, afin d’éviter tout changement du statu quo, de protéger l'économie politique internationale et d’empêcher toutes incursions d'opposants, l'Etat dominant doit disposer des capacités militaires prépondérantes. C’est-à-dire que l’état dominant en place doit être aussi supérieur militairement à l'échelle mondiale. Par conséquent, les sources de l'hégémonie se doivent d’inclure, de facto, une force militaire pouvant dissuader ou repousser toutes tentatives de saisi et de fermeture des zones importantes de l'économie politique mondiale, particulièrement celles lancées par un pouvoir émergent dans le but de changer les «règles du jeu» sur la scène internationale.

 

2. L’Incompatibilité Sécuritaire entre Moscou et Pékin

L’essor de la Chine, universellement reconnue comme étant le développement géopolitique le plus important du début du XXIème siècle, affecte profondément la position de la Russie dans le cycle de pouvoir. La Russie qui est un voisin proche de la Chine, partage avec Pékin une frontière qui s’étend sur 4 500 km environ. La Russie est un pays européen; pourtant seulement un quart de sa superficie se situe en Europe et les trois quarts de son vaste territoire - la Sibérie et l'Extrême-Orient russe - sont géographiquement situés en Asie[10]. L’économie russe est cinq fois plus petite que celle de la Chine, sa population est dix fois moindre et son taux de croissance économique est anémique[11].

Le principal objectif de la politique étrangère de la Chine est de dominer l’Asie, étendre son influence économique et politique sur les deux continents africain et européen. La Russie, quant à elle, a un profond intérêt à empêcher la Chine de dominer l’Asie ou de devenir une superpuissance mondiale et à regagner ce statut dans le système international. Ainsi, il semble clair que les intérêts de la Chine et de la Russie sont fondamentalement opposés. Comment peut-on expliquer cela théoriquement?

Il existe deux écoles de pensée sur la trajectoire probable de l’interaction sino-russe. La première, est appelée l’école du «défaut fatal». Cette dernière affirme que la relation sino-russe est historiquement déchirée par la méfiance, suite à laquelle les deux pays ont peu de chances de forger un partenariat stratégique durable[12]. Tandis que pour la deuxième école de pensée, la Chine et la Russie sont deux pays qui partagent le mépris de la démocratie libérale occidentale[13], établissant un partenariat durable pour contester «l’hégémonie américaine».

Ce partenariat deviendra «une caractéristique clé d’un nouvel ordre géopolitique mondial en formation» puisque les deux pouvoirs jaillissants ont des aspirations mondiales[14].

L’histoire nous enseigne que les relations russo-chinoises risquent fort d’être, d’un point de vue multidimensionnel, ébranlées. Cela s’explique par le fait que la situation géopolitique mixte de Moscou forge une idée distincte de la paix, basée sur la sécurité absolue en termes de jeu à somme nulle, c'est-à-dire de sécurité absolue (zero-sum game). La Russie privilégiera toujours sa sécurité au détriment de celle de ses voisins.

Poutine l’a souligné à plusieurs reprises, l’Union Soviétique n’a pas toujours été guidé uniquement par une idéologie, mais aussi par les intérêts géopolitiques soviétiques, basés initialement sur la sécurité absolue de leur pays.

Afin d’éviter tout chevauchement dans leurs rôles et fonctions et écarter toute possibilité de friction militaire, les russes et les chinois ont essayé de mettre en place des arrangements temporaires (Modus Vivendi), sans toutefois les confondre avec les intérêts stratégiques permanents de l'Etat[15]. Pour illustrer ceci, nous examinerons deux évènements de hautes importances:

 

A- Xinjiang: Territoire de Rivalités entre Moscou et Pékin

À plusieurs reprises entre la fin du XIX siècle et le milieu du XX siècle, la Chine a conclu une alliance avec l'empire russe, puis avec l'Union Soviétique. Mais à chaque fois, ce règlement a été de courte durée ou temporaire entre ces pays dotés d’un pouvoir inégal. Dans les décennies suivantes, les deux puissances communistes se sont engagées dans de nombreuses voies de coopération, mais ces voies se sont souvent transformées en une crise dominée par l'incertitude ou la méfiance.[16] Ainsi, les relations russo-chinoises sont entrées dans une phase sanglante, en particulier en 1969, dans le contexte de soutien de l'empire russe et de l'union soviétique à un groupe ethnique séparatiste islamo-turque ayant de forts liens culturels, économiques et politiques, dans la province du Xinjiang[17]. Cette région qui s’étend sur une superficie pareille à l'Iran, a un emplacement stratégique pour les pipelines d’énergie et les corridors commerciaux en Asie centrale, au Moyen-Orient et en Europe, contre la Chine, qui a réussi à repousser le plan conçu par les soviétiques pour le contrer.

La scission sino-soviétique a éclaté cette année-là, les relations russo-chinoises se sont détériorées entre 1966 et 1972 et Pékin a compris que Moscou était son plus grand ennemi, plus dangereux encore que Washington, facilitant ainsi son rapprochement avec ce dernier. En 1979, après l'invasion soviétique en Afghanistan et la chute du gouvernement afghan, la Chine a formé des djihadistes afghans et a établi des camps d'entraînement dans la province du Xinjiang, région frontalière de l'Afghanistan, afin de lutter contre le communisme et d'empêcher Moscou de l’assiéger, puisque cette dernière et ses alliés contrôlaient le Vietnam et le Cambodge.

D’une part, la Chine a fourni aux moudjahidines une aide financière et militaire d'environ 400 millions de dollars pour empêcher Moscou de l’encercler. D’autre part, elle s'est procurée du matériel militaire américain pour se défendre contre toute attaque soviétique[18].

En 1989, au cours des dernières années du pouvoir soviétique, Moscou et Pékin ont finalement retrouvé des relations normales. Ils ont conjointement annoncé qu'ils développeraient des relations bilatérales sur la base du "respect mutuel de la souveraineté, de l'intégrité territoriale, de la non-agression mutuelle, de la non-ingérence dans les affaires intérieures de chacun, de l'égalité, du bénéfice mutuel et de la coexistence pacifique". Deux ans plus tard, l'Union Soviétique se désintégrait, mais les relations sino-russes continuaient sur le principe du "pas d'alliance, pas de conflit, pas de ciblage d'aucun pays tiers"[19].

 

B- Parlons-Nous de l’Amour?

En mai 2014, Poutine a annoncé un accord avec son homologue chinois pour la construction d'un pont international sino-russe sur le fleuve de l’amour, dans le sud-est de la Russie. Celui-ci serait destiné au transport des ressources naturelles et des ressources brutes aux coûts financier et temporel très faibles. Le président russe a ajouté qu'il terminerait sa construction en 2016. Cependant, fin 2016, l'énorme pont de fer est sorti du côté chinois et a été suspendu dans les airs au-dessus du fleuve amour, près d'une colonie frontalière isolée sur la côte russe, à environ 4 milles kilomètres de Moscou. En fait, lorsque Pékin a fini de construire sa partie du pont et a atteint la frontière russe, Moscou n’avait même pas encore commencé à en construire les fondations.

Cela est significatif: malgré l'aversion commune de Moscou et de Pékin envers les modèles de démocratie occidentaux, l'échec de la construction du pont de fer traversant le fleuve de l’amour durant cette période offre une image plus que réaliste du décalage existant entre les objectifs réalistes stratégiques de Moscou et de Pékin et de leurs aspirations. Bien que l'achèvement de la construction du pont réduise les coûts de transport du minerai de fer extrait de Russie vers la Chine, l'élite politique et l'oligarchie à Moscou continuent de voir en la Chine une menace pour sa sécurité en termes de population, de croissance économique et de capacités militaires.

Alors que le Kremlin soutenait la construction du pont, son sort reste pratiquement suspendu en raison de problèmes de sécurité et de finances. Les responsables financiers de Moscou se sont plaints non seulement du coût élevé de cette construction évaluée à 140 millions de dollars, mais également de la menace qu’elle représentait, ce pont permettant aux chars d'assaut chinois d'atteindre la capitale russe[20].

 

3. La Russie Face à une Novice Europe: Asymétrique Économique Croissante

A partir de 2014, suite aux sanctions américaines et européennes qui ont considérablement réduit l’accès de la Russie aux crédits, les relations économiques entre la Russie et la Chine se sont rapidement développées, engendrant une proximité croissante entre les deux pays. Pourtant, Moscou, qui s’est présentée au cours des dix dernières années comme une puissance euro-asiatique, réalise qu’elle ne peut plus faire cavalier seul[21] et a besoin d’une stratégie réaliste d’interactions économiques avec Pékin qui aiderait son développement tout en évitant une dépendance excessive vis-à-vis de son voisin.

Bien que la Russie collabore avec la Chine sur un éventail de sujets bilatéraux et internationaux, le rapport de force, particulièrement économique, s’est inversé en défaveur de la Russie au cours du dernier quart de siècle, notamment sur le plan économique. Les relations étant bonnes, ce déséquilibre croissant est systématiquement analysé par la Russie en termes de menaces pour sa sécurité et sa souveraineté. À cet égard, l’influent conseil russe pour les affaires internationales (RSMD) mentionnait dans son bilan de l’année diplomatique 2017 l’asymétrie progressive des relations politique et économique avec Pékin. Il estimait que l’un des objectifs principaux de l’action diplomatique de Moscou devait être d’en améliorer la qualité, impérativement via la modernisation intérieure, pour rattraper la Chine[22]. En d’autres termes, si la Russie aspire à conduire une politique étrangère stratégiquement indépendante et flexible, elle doit fournir les moyens économiques vitaux qui favoriseront la réalisation de ses ambitions croissantes.

Avec une économie huit fois inférieure à celle de la Chine, la Russie ne peut, à long terme, compter sur ses capacités militaires stratégiques pour garantir son hégémonie ou même prendre le dessus sur ses ennemis. Tandis que Pékin poursuit une politique similaire au mercantilisme visant à accroître son pouvoir, au détriment de ses puissances internationales rivales, en dirigeant l'économie directement et en stimulant sa politique étrangère pour l'expansion économique et politique dans les régions géopolitiques et économiques importantes du monde.

Même si, sur le plan économique, les deux forces ont annoncé qu’elles se joindraient à la ceinture économique de la nouvelle route de la soie et à l’union économique eurasiatique de Russie pour intégrer l’ensemble de l’Eurasie, la croissance dans les échanges bilatéraux, les asymétries dans l’échelle et la structure du commerce bilatéral reflètent une image différente: bien que la Chine soit le deuxième partenaire commercial de la Russie et le principal partenaire individuel de la Russie, cette dernière se place au dixième rang des exportations chinoises et ne figure pas parmi les dix premières importations ni dans le commerce total[23].

En effet, le volume des échanges commerciaux bilatéraux entre les deux pays a atteint un montant de 100 milliards de dollars en 2018. Alors que, dans la même année, les échanges commerciaux bilatéraux entre l’Amérique et la Chine ont atteint 2 milliards de dollars par jour (660 milliards de dollar par an)[24] soit 13% de la part du commerce mondial de l’Amérique[25].

Pour ne pas risquer de devenir un agent économique de la Chine, la Russie s’est engagée, inutilement, à créer une interdépendance économique, surtout dans le secteur énergétique de la Chine mais cette dernière ne cherche qu’à diversifier les sources d’énergie du pays. Au moment où Pékin a investi 25 milliards de dollars dans le pipeline «Power of Siberia» pour importer annuellement 38 milliards de mètres cubes de gaz naturel de Moscou, la Chine a importé, en 2017 aussi, plus de 90 milliards de mètres cubes de gaz naturel, principalement d'Australie, du Qatar et du Turkménistan.

Les efforts de la Russie et de la Chine en matière de développement économique commun et d’investissement ne ressemblent guère à la coopération entre deux alliés enthousiastes. De 2014 à 2018, la Chine n'a investi directement que 24 milliards de dollars dans l'économie de la Russie.

Au cours de la même période, la Chine a investi 148 milliards de dollars en Afrique subsaharienne (dont 31 milliards au Nigéria seulement) et 88 milliards en Amérique du sud (dont 34 milliards au Brésil).

Pour répondre à ses intérêts croissants, Pékin se développe habilement au niveau régional et international, en particulier au niveau des ressources naturelles indispensables localisées dans l'Extrême-Orient russe, en Sibérie, au Moyen-Orient et en Afrique. La nécessité d’élargir sa pénétration dans les nouveaux marchés se fit pressante. Conformément à l’Europe, la Chine a décidé de lancer une initiative vitale, «la Ceinture et la Route» (Belt and Road Initiative), basée sur des diversités d’itinéraires alternativement terrestres et maritimes. Moscou, complètement encerclée par ces routes, redoute, à long terme, de devenir un territoire de transit. En effet, la nouvelle route de la soie transfèrerait le centre de gravité de l’économie mondiale, de l’océan atlantique à la région eurasienne au profit de la Chine et, par conséquent, engendrerait des implications politiques, économiques, culturelles et sécuritaires.[26]

En réponse à ce défi, la Russie tente de contenir l’expansion économique chinoise, surtout en Asie centrale, détentrice d’une importance très stratégique non seulement pour Moscou, mais aussi pour toutes les autres superpuissances régionales et mondiales. Elle a, par exemple, dans le cadre de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), refusé, avec le Kazakhstan, la création d’une zone de libre-échange, ou encore celle d’une banque de développement. C’était aussi l’un des objectifs initiaux de la création de l’Union Économique Eurasiatique (UEE), organisation d’intégration économique entre la Russie et quatre ex-républiques soviétiques, l’Arménie, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizstan, lancée en janvier 2015 en vue de cerner la Chine économiquement et politiquement.

En agissant de la sorte, Moscou comprend que l’expansion économique chinoise pourrait l’inciter à jouer un rôle plus actif dans la protection des voies de transport traversant l'Asie centrale dans le cadre de l'initiative ceintures et routes. Moscou ne pourrait tolérer une Chine qui risquerait de revendiquer son rôle de principal fournisseur de services de sécurité de la région, mettant ainsi en cause sa position actuelle.

En fait, Moscou craint que l’allongement chinois à travers ses initiatives économiques et ses corridors commerciaux régionaux et intercontinentaux, n’aboutisse inéluctablement à la protection de ces routes par le biais d'accords de sécurité bilatéraux avec les gouvernements. L’Asie centrale, traversées par la route, verra son rôle et son influence amplifiés dans la région aux dépens de la Russie. Moscou est clairement consciente du fait que les États d’Asie centrale n’hésiteront pas, le moment venu, à signer des accords bilatéraux avec Pékin (énergie, investissements, commerces…) si leurs intérêts les y obligent. Afin d’éviter un déclin général de son influence, Moscou ne doit pas laisser la Chine soumettre la région à son contrôle, autant, sur le plan économique, que sur le plan sécuritaire.

Ces questions économiques, aux influences nocives, constituent une vraie menace pour la sécurité de Moscou et remettent en question la poursuite de la coopération et du partenariat avec la Chine.

 

4. Moscou et Pékin: Partenaires Provisoires ou Concurrents Éternels?

La Chine émergente cherche l’hégémonie, d'abord sur l'Asie et finalement au-delà. Pour ce fait, la Chine a trouvé en la Russie un allié provisoire pouvant l’aider à repousser l’influence de Washington et à défendre ses zones de sécurité, afin de rétablir une paix selon sa vision et ses règles. Il est impératif pour la Chine d’adapter le système international à son expérience historique, à son accumulation de force et à sa vision stratégique de la paix dans le monde «Pax Sinica», d’abord dans la région asiatique et plus tard dans le monde.

La Chine se considère comme étant une civilisation ancienne et le centre des civilisations de la terre. Tout ce qui est en dehors d’elle est donc barbare et les autres sociétés n’ont qu’à la suivre ou à s’y "soumettre". "La nation chinoise est une grande nation", a déclaré Xi Jinping dans son livre. "Il n'y a pas de civilisation sur terre équivalente à la civilisation chinoise". La Chine ne cherche à se rallier à la Russie que pour assurer son influence sur la scène internationale et mener les changements nécessaires pour l’ancrer et la renforcer.

A son tour, Moscou, qui se considère comme le centre d’un empire de facto, veut aussi jouer un rôle important dans le maintien de l'équilibre mondial. Cela se perçoit dans deux discours du président Poutine. Premièrement, lorsqu'il a déclaré que «la fin de l'union soviétique a été le plus grand désastre géopolitique du XXE siècle» et deuxièmement lorsqu'il a souligné que «l’union soviétique n’a pas été toujours guidée par une idéologie, les dirigeants soviétiques ont été aussi guidés par les intérêts géopolitiques de la Russie et de l'union soviétique».

En fait, Vladimir Poutine comprend bien l’objectif ultime de son pays et de celui de Pékin: tous les deux prétendent à l’hégémonie eurasienne et ensuite à celle du monde. Alors que la Chine devenait un gagnant relatif, les élites russes ont commencé à reconnaître ouvertement que l’évolution des équilibres économiques et politiques mondiaux ne leur était plus favorable. Après des années d'obsession sur les dangers du pouvoir et de l'unilatéralisme américains, Moscou semble avoir un nouveau fantôme. Le Kremlin est de plus en plus préoccupé par la montée rapide de la Chine et son influence croissante en Sibérie, en Extrême-Orient, en Asie centrale et dans la mer Caspienne - ce que Medvedev a nommé à la suite de la guerre de 2008 avec la Géorgie, "zone d'intérêts privilégiés"[27].

Rappelons-nous que Vladimir Loukine, - premier ambassadeur post-communiste aux États-Unis d’Amérique et plus tard président de la commission des affaires étrangères de la douma-, a bien exprimé les implications stratégiques de la montée de la Chine: «dans le passé, la Russie se voyait en avance sur l'Asie, mais à la traîne de l'Europe. Depuis lors, l'Asie s'est développée beaucoup plus rapidement .... Nous ne nous trouvons pas vraiment entre "l'Europe moderne" et "l'Asie retardée", mais occupons plutôt un étrange espace intermédiaire entre deux "Europe"»[28]. Alors, pour ne plus être confronté au même sort, la Russie recalculerait sa puissance par rapport à ses rivaux voisins, notamment la Chine.

À moyen terme, la Russie pourrait trouver que son leadership dans la région est remis en question par la Chine, non seulement sur le plan économique, comme cela a déjà été le cas, mais également en termes d'orientations sécuritaires.[29] Alors, avec la montée en puissance d’une Chine aux ambitions internationales[30], l’époque où la Russie pouvait aspirer à être l’acteur dominant en Eurasie est révolue: son projet est désormais plus contre-hégémonique qu’hégémonique[31]. De ce fait, la montée de la puissance militaire de Pékin inciterait Moscou à faire de même, bien que son objectif public soit de "dissuader l'expansion de l’Otan». En effet, Moscou ne sera pas en mesure de traiter équitablement une force chinoise dotée de vastes capacités économiques et militaires et, surtout, d'une suprématie déjà reconnue.

Un regard rétrospectif sur l'histoire fait clairement ressortir que quand la Russie a menacé de former son propre bloc militaire nommé l’organisation du traité de sécurité collective (OTSC) en 1992, en réponse à l'expansion de l'OTAN, elle n’a pas choisi la Chine pour partenaire, mais la Biélorussie et le Tadjikistan.

Malgré l’inquiétude de son partenaire chinois, Moscou a renforcé ses liens stratégiques avec des pays voisins de la Chine, notamment l’Inde, la Corée du nord et le Vietnam. Globalement, entre 2013 et 2017, l'Inde était probablement une destination plus sûre pour le matériel de défense russe que la Chine, avec 35% des exportations d'armes russes à New Delhi, contre 12% à Pékin.

Bien la Chine ait pour objectif, en matière de politique étrangère, de créer un environnement international favorable, elle ne s’y attache que dans le but de pouvoir mieux se concentrer sur les affaires intérieures et la croissance économique du pays. Ainsi, tout ce qui pourrait la faire dévier de ce trajet devrait être évité à tout prix. Pour aboutir aux objectifs susmentionnés, Pékin s’acharne à préserver son alliance et son unité formelle avec la Russie; tout en sachant qu’il serait difficile de relever le défi qu’elle s’est fixée s’il existe sur sa frontière une Russie forte.

La Chine considère Moscou comme un partenaire important mais pas aussi vital que Washington en raison de l’interdépendance économique des deux pays. Autrement dit, la Chine ne risquerait pas de provoquer une véritable brouille avec Washington pour défendre Moscou[32]. Lorsque Poutine a espéré convaincre la Chine d'utiliser son influence pour légitimer la position régionale de la Russie, Xi Jinping a vaguement répondu à sa quête sans trancher la question. Les dirigeants chinois maintiennent leur négligence bienveillante vis-à-vis de Washington et de Moscou, pour cela, ils continuent de s’abstenir lors du vote de l’ONU contre la Russie et sapent les sanctions occidentales[33].

Le partenariat stratégique sino-russe est fondé en raison du rejet partagé par la Russie de l’intervention de l’occident, États-Unis Américains en tête, dans leur voisinage immédiat. En dépit de ce sentiment commun, ces deux pays ont des intérêts nationaux contradictoires, surtout en ce qui concerne la prédominance en l’Asie centrale, où se développe un véritable enjeu d’influence culturelle, économique et sécuritaire.

 

Conclusion

Historiquement et géographiquement, la structure de la politique mondiale ou de l'équilibre mondial au cours des derniers siècles était le suivant: Moscou, l'empire russe, pendant la première guerre mondiale, et l'union soviétique (URSS), pendant la seconde guerre mondiale, étaient des alliés de l'occident contre toutes tentatives de domination du système international. Aujourd’hui, avec la montée en puissance de la Chine, la Russie recalculerait son intérêt national, notamment en redéfinissant sa sécurité nationale et en réévaluant son rapport de force et de puissance avec Pékin. De là, au fur et à mesure, les relations russo-chinois vont dévier du cadre de coopération pour rentrer dans un cadre de rivalité serrée.

On ne cessera de répéter que la Russie est en compétition implicite avec la Chine qui essaie à tout prix de réaliser son objectif ultime et de devenir la seule superpuissance dans le système international; c'est-à-dire, dominante absolue. Pendant que Moscou cherche à recouvrer son influence dans la région, c'est-à-dire à renforcer ses positions dans le monde par une reprise en main de l’espace post-soviétique en tant que grande puissance et l’un des centres influents du monde multipolaire, la Chine la perçoit comme un complice nécessaire pour réussir à adapter le système international à sa vision stratégique de la paix dans le monde.

L’histoire des relations entre les deux pays est lourde et ceux-ci jouent des rôles très différents dans l’économie et la sécurité mondiale, rendant inévitables une divergence dans leurs objectifs. Bien que Moscou et Pékin aient renforcé leurs liens, tous deux défendent leurs intérêts, qui ne coïncident pas toujours. En plus, la nature de ses échanges bilatéraux entre Moscou et Pékin correspond assez étroitement à la description du commerce colonial faite par Karl Marx et Vladimir Lénine, dans laquelle un pays devient un élément matériel d’un autre. Ceci dit, il est rare que les métropoles s’allient avec leurs colonies.

Vu que le système, soit au niveau international ou au niveau régional, ne peut pas posséder qu’une seule vision de la paix, Moscou et Pékin seront-ils toujours à la fois partenaires et rivaux?

 

Bibliographies:

Ouvrages:

-KINDLEBERGER Charles P., The World in Depression 1929-1939, University of California Press, Berkley, 1973.

-KISSINGER Henry A., On China, Penguin Books, New York, 2012.

-KEOHANE Robert O., After Hegemony: Cooperation and Discord in the World Political Economy, Princeton University Press, Princeton, 1984.

-MEARSHEIMER John J., The Tragedy of Great Power Politics, Norton &Company, Inc., New York, 2014.

-MORGENTHAU Hans J., THOMPSON Kenneth W., CLINTON David W., Politics Among Nations Struggle for Power and Peace, McGraw Hill Higher Education, Seventh Edition, New York, 2005.

-TAYLOR Alan J. P., The Struggle for Mastery in Europe 1848-1918, Oxford University Press, Oxford, 1954.

-WALLERSTEIN Immanuel, The Modern World System II, First Edition, University of California Press, California, 1980.

 

Articles:

-ARON Leon, «Are Russia and China Really Forming an Alliance?,» in Foreign Affairs, 4 April 2019.

-CUSTER Samantha, DiLORENZO Matthew, MASAKI Takaaki, SETHI Tanya, HARUTYUNYAN Ani, «Listening to Leaders 2018: Is Development Cooperation Tuned-In or Tone-Deaf?,» in AIDDATA A Research Lab at William & Mary, Williamsburg, May 2018.

-FACON Isabelle, «La Complexe Quête Asiatique de la Russie,» in Manière de Voir, No. 139, Février-Mars 2015.

-FADEL Mohammad H., «From Liberal West to Russia and China: How the Arab world Lost the Battle for Democracy,» in Middle East Eye, 6 March 2019.

-GORDON David, SCHNEIDER Jordan, «Treacherous Triangle: China, Russia, the United States, and the New Superpower Showdown,» in Foreign Affairs, 22 May 2014.

-HIGGINS Andrew, «An Unfinished Bridge, and Partnership, Between Russia and China,» in The New York Times, 17 July 2016.

-KHALIL Ahmad, «The Rise of China-Afghanistan Security Relations,» in The Diplomat, 23 June 2016.

-KUCHINS Andrew, «Putin's Return and Washington's Reset with Russia,» in Foreign Affairs, 29 September 2011.

-LARUELLE Marlene, KORTUNOV Andrey, «Envisioning Opportunities for U.S.-Russia Cooperation in and with Central Asia,» Working Group Expert Paper on the Future of U.S.-Russia Relations, April 2019.

-LO Bobo, «Vladimir Poutine et la Politique Étrangère Russe: Entre Aventurisme et Réalisme?,» in Ifri, No. 108, Juin 2018.

-LUKIN Vladimir, «Our Security Predicament,» in Foreign Policy, No. 88, Fall 1992.

-MANDELBAUM Michael, «Westernizing Russia and China,» in Foreign Affairs, Vol. 76, No. 3, May-June 1997.

-MCKEOWN Timothy J., «Hegemonic Stability Theory and 19th Century Tariff Levels in Europe,» in International Organization, Vol. 37, No. 1, Winter 1983.

-Sans Auteur, «Kenya. Pour se rembourser, la Chine Pourrait s’emparer du port de Mombasa,» in Courrier International, 28 Décembre 2018.

-Sans Auteur, «La Politique Étrangère de la Russie: Regard sur 2018,» in RSMD, Rapport No. 36, Moscou, 2017.

-STOKES Jacob, SULLIVAN Alexander, «The Sino-Russo Rundown,» in Foreign Affairs, 16 August 2015.

-TRENIN Dmitri, «Dynamism Hallmark of China-Russia Relations,» in China Daily, 9 March 2018.

-Without Author, «U.S.-China Trade Issues,» in Congressional Research Service, 23 June 2019.

-Without Author, «China v America A New Kind of Cold War,» in The Economist, 16 May 2019.

-YING Fu, «How China Sees Russia: Beijing and Moscow Are Close, but Not Allies,» in Foreign Affairs, Vol. 95, No. 1, January - February 2016.

 

Sites internet

-https://www.monde-diplomatique.fr/index/pays/russie.

 

[1]-Alan J. P. TAYLOR, The Struggle for Mastery in Europe 1848-1918, Oxford University Press, Oxford, 1954, p. b2.

[2]-Hans J. MORGENTHAU, Kenneth W. THOMPSON, David W. CLINTON, Politics Among Nations Struggle for Power and Peace, McGraw Hill Higher Education, Seventh Edition, New York, 2005, p. 29.

[3]-John J. MEARSHEIMER, The Tragedy of Great Power Politics, Norton &Company, Inc., New York, 2014, p. 40.

[4]-Charles P. KINDLEBERGER, The World in Depression 1929-1939, University of California Press, Berkley, 1973, p. 305.

[5]-Immanuel WALLERSTEIN, The Modern World System II, First Edition, University of California Press, California, 1980, p. 38.

[6]-Sans Auteur, «Kenya. Pour se rembourser, la Chine pourrait s’emparer du port de Mombasa,» in Courrier International, 28 Décembre 2018.

[7]-Timothy J. MCKEOWN, «Hegemonic Stability Theory and 19th Century Tariff Levels in Europe,» in International Organization, Vol. 37, No. 1, Winter 1983, p. 78.

[8]-Robert O. KEOHANE, After Hegemony: Cooperation and Discord in the World Political Economy, Princeton University Press, Princeton, 1984, p. 33.

[9]-Samantha CUSTER, Matthew DiLORENZO, Takaaki MASAKI, Tanya SETHI, Ani HARUTYUNYAN, «Listening to Leaders 2018: Is Development Cooperation Tuned-In or Tone-Deaf?,» in AIDDATA A Research Lab at William & Mary, Williamsburg, May 2018.

[10]- https://www.monde-diplomatique.fr/index/pays/russie.

 Jacob STOKES, Alexander SULLIVAN, «The Sino-Russo Rundown,» in Foreign Affairs, 16 August 2015.

[11]-Dmitri TRENIN, «Dynamism Hallmark of China-Russia Relations,» in China Daily, 9 March 2018.

[12]-Jacob STOKES, Alexander SULLIVAN, op.cit..

[13]-Mohammad H. FADEL, «From Liberal West to Russia and China: How the Arab world Lost the Battle for Democracy,» in Middle East Eye, 6 March 2019.

[14]-ibid..

[15]- Henry A. KISSINGER, On China, Penguin Books, New York, 2012, p. 272.

[16]- Fu YING, «How China Sees Russia: Beijing and Moscow Are Close, but Not Allies,» in Foreign Affairs, Vol. 95, No. 1, January - February 2016, p. 97.

[17]- La province du Xinjiang est la porte d'entrée de la Chine vers le monde islamique, et les préoccupations de Pékin de cette région proviennent également du groupe séparatiste islamique local.

[18]- Ahmad KHALIL, «The Rise of China-Afghanistan Security Relations,» in The Diplomat, 23 June 2016.

[19]- Fu YING, op.cit., p. 97.

[20]- Andrew HIGGINS, «An Unfinished Bridge, and Partnership, Between Russia and China,» in The New York Times, 17 July 2016, p. A6.

[21]- Andrew KUCHINS, «Putin's Return and Washington's Reset with Russia,» in Foreign Affairs, 29 September 2011.

[22]- Sans Auteur, «La Politique Étrangère de la Russie: Regard sur 2018,» in RSMD, Rapport No. 36, Moscou, 2017.

[23]- Leon ARON, «Are Russia and China Really Forming an Alliance?,» in Foreign Affairs, 4 April 2019.

[24]- Without Author, «U.S.-China Trade Issues,» in Congressional Research Service, 23 June 2019.

[25]- Without Author, «China v America: A New Kind of Cold War: How to Manage the Growing Rivalry between America and a Rising China,» in The Economist, 16 May 2019, p. 3.

[26]- Isabelle FACON, «La Complexe Quête Asiatique de la Russie», in Manière de Voir, No. 139, Février-Mars 2015.

[27]- Andrew KUCHINS, op.cit..

[28]- Vladimir LUKIN, «Our Security Predicament,» in Foreign Policy, No. 88, Fall 1992, p. 60.

[29]- Marlene LARUELLE, Andrey KORTUNOV, «Envisioning Opportunities for U.S.-Russia Cooperation in and with Central Asia,» Working Group Expert Paper on the Future of U.S.-Russia Relations, April 2019, p. 5

[30]- Bobo LO, «Vladimir Poutine et la Politique Étrangère Russe: Entre Aventurisme et Réalisme?,» in Ifri, No. 108, Juin 2018, p. 9.

[31]- ibid., p.17.

[32]- David GORDON, Jordan SCHNEIDER, «Treacherous Triangle: China, Russia, the United States, and the New Superpower Showdown,» in Foreign Affairs, 22 May 2014.

[33]-ibid.

موسكو وبكين: مسار تنافسي على الهيمنة؟

على مدى ثلاثة عقود، أضحى مسار التعاون بين الصين وروسيا أكثر تعقيدًا وديناميكية ينصبّ بشكلٍ حصري على القضايا ذات الأهمية الحيوية. وعلى الرغم من نقاط الخلاف حول الأزمتَين الأوكرانية والسورية، يشير بعض المنظّرين إلى أن هاتين القوتَين الصاعدتَين تستمران بتنسيق سياساتهما حول القضايا الحيوية إياها. وبذلك، تمكنت الشركات الصينية من الوصول إلى موارد الطاقة الروسية بالاستثمار في قلب البلاد. بعدها، وافقت روسيا على بيع أنظمة لأسلحةٍ متطورة بشكلٍ متزايد إلى الصين وسمحت بإجراء مناورات بحرية مشتركة فيما بين البلدَين في البحر الأبيض المتوسط وبحر الصين الجنوبي وبحر اليابان.

في العام ٢٠١٤، حدّت العقوبات الأميركية والأوروبية من قدرات موسكو في الحصول على القروض المالية بشكلٍ كبير، ما دفع هذه الأخيرة إلى خلق تقارب متزايد مع الصين. غير أنّ موسكو، التي برزت كقوةٍ أوروبية-آسيوية على مدى السنوات العشرة الماضية، تدرك مدى خطورة الاعتماد المفرط على بكين. ورغبة موسكو في تنويع صادراتها قد اقترنت برغبة بكين في الاستثمار أكثر في قطاع الطاقة وفي البنية التحتية الروسية. وقد عبّرت النخبة السياسية الروسية عن تحفّظها إزاء زيادة النفوذ الصيني لا سيما في قطاع الطاقة، وشددت على ضرورة تحسين القدرة التنافسية الاقتصادية لموسكو وعلى تنويع صادراتها مع جارتها بكين، التي تمتلك معها ميزانًا تجاريًا سلبيًا، حتى لا تصبح روسيا مجرد بلد احتياطي للموارد الطبيعية.

مع نمو الصين اقتصاديًا أدركت موسكو أبعاد التطور الآسيوي مع ما يمكن لهذا التطور من أن يؤثّر في وضعيتها وفي دورها الإقليمي والدولي على المدى البعيد. كما أدركت أن التوسع الاقتصادي الصيني يمكن أن يحفّز الصين على تأدية دور سياسي وأمني أكثر حيوية في حماية الممرات التجارية التي تمتد عبر آسيا الوسطى بموجب مبادرة "الحزام والطريق". فلا يمكن إذًا لموسكو أن تتساهل في نمو الصين وتوسعها التي قد تجازف بالمطالبة بدورٍ آسيوي أكبر بعد أن تصبح المزوّد الرئيس للأمن في المنطقة، وذلك يعني عمليًا، إحالة وضعية موسكو ودورها إلى مرتبة ثانوية.

لطالما حرصت روسيا أن تُبقي الغرب بعيدًا عن مناطق نفوذها ومصالحها الخاصة. واليوم تتوخّى موسكو الأمر ذاته مع التمدد الصيني عقب شروعها في تنفيذ مبادرات اقتصادية تسمح لها بإخضاع ممرات وأسواق تجارية إقليمية ودولية لنفوذها. وعليه، يتحتم عليها ألا تسمح للصين بإخضاع هذه المناطق والممرات لسيطرتها، سواء من الناحية الاقتصادية أو الأمنية. كما حذر الرئيس بوتين مرارًا من عواقب تراجع الدور الروسي في الشرق الأقصى وآسيا الوسطى، والذي سينتهي المطاف بأفراده إلى التحدث بالصينية.

في غضون خمسة عشر عامًا، سيتجاوز الاقتصاد الصيني اقتصاد الولايات المتحدة الأميركية ليصبح الأقوى في العالم، ما سيؤدي إلى ضغط شديد على بنية المنتظم الدولي نتيجة التحولات الجوهرية في توزيع القوة داخل هذه البنية أي إعادة التوازن فيما بين القوى العالمية. على ضوء ما تقدّم، هل ستحافظ روسيا على العلاقات التعاونية مع الصين؟ أم ستعيد حساب مصلحتها القومية من خلال مقاربة بين قوتها النسبية وقوة منافستها المجاورة، بما يدفعها إلى التخلي تدريجيًا عن المسار التعاوني مع الأخيرة لتجد نفسها تلقائيًا تحت وطأة منافسة محتدمة تخوضها معها؟